Le véritable « esprit religieux »

Le véritable « esprit religieux »

Dans nos sociétés occidentales, la mort est souvent occultée. Peu de corbillards traversent nos villes. Pourtant,  la mort a frappé ces derniers temps, médiatiquement parlant. Simone Veil, Mireille Darc, David Bowie, Françoise Héritier, Jean d’Ormesson, Johnny Halliday… Si besoin en était, ces femmes et ces hommes « hors du commun » nous rappellent notre finitude. Certains s’affirmaient catholiques, d’autres agnostiques, voire athées. Quatre pieds sous terre, et puis après ?

Plus je vieillis et plus je reste perplexe. Des origines de la vie et de sa fin. Tant la réponse « bouche-trou » – un « Dieu » créateur et sauveur – reste insatisfaisante, servant seulement à combler, depuis la nuit des temps, notre ignorance et à pacifier nos angoisses de mortels. Et puis ce silence assourdissant de « Dieu ». Imagine-t-on une mère aimante donner la vie, puis laisser seule son enfant ? Seul face au pourquoi de sa naissance, seul face à la souffrance et à la mort qu’il lui faudra inévitablement traverser. Seul face à l’enfer promis s’il ne marche pas droit : « Débrouille-toi, mais prends garde à toi ! », « Crois en mon Amour et en mon Jugement dernier ! », « Cherche-moi, mais ne te trompe pas de Vérité ! ». Imagine-t-on un enfant coupable de naissance, fruit d’un péché héréditaire ? Quelle mère aimante ferait subir pareille épreuve à son enfant ? Et puis, je reste sans nouvelle de ceux que j’ai aimés et qui sont morts. Silence sur toute la ligne… Ceux qui disent avoir la « foi » n’ont, au fond d’eux-mêmes, que des certitudes de pacotille. Ils ressemblent comme deux gouttes d’eau à ces agnostiques qui ne savent pas. En réalité, nous pensons avec nos représentations mentales du monde, selon notre époque, le lieu de notre naissance, nos multiples influences et conditionnements. Autrement dit, nous sommes, pour une part au moins, le produit de notre éducation, de nos croyances et de nos conventions sociales. Bref, nous naissons, nous marchons, nous courons, et puis après ? Si « Dieu » n’est pas dans les religions, où se cache-t-il donc ? Pas la moindre évidence depuis tout ce temps. Seulement le pari de Pascal ou quelque argument rationnel du type « toute horloge doit avoir son horloger » ? Rien n’est moins sûr (il suffit de lire le dernier livre de Cyrulnik, Psychothérapie de Dieu ou de Yuval Noah Harari, Homo Deus, pour s’en rendre compte). Après tant de croyances ancestrales, comment ne plus s’illusionner ? Le « mystère de la vie », s’il y a mystère, est décidément bien gardé. Et « Dieu » explique de moins en moins le monde. Vu de la sorte, le sens de notre vie sur terre m’échappe totalement et me paraît parfois tellement absurde. Être ici pour un temps incertain, mais limité est vertigineux. Une certitude, bien fragile : à l’opposé des dogmes et de la morale – ce qu’il faudrait croire et ne pas croire pour avoir la « vie éternelle » –, la vie intérieure n’est pas une croyance, elle est proprement spirituelle. N’est-ce pas la seule vérité que je peux véritablement croire par moi-même, étant la seule que je peux expérimenter sans trop m’illusionner ? À la manière de Jean-Paul Sartre qui déclare, dans son opuscule L’existentialisme est un humanisme, que, pour la pensée existentialiste, toute vérité et toute action impliquent un milieu humain et une subjectivité humaine. À la manière de Baruch Spinoza qui, rejetant toute transcendance divine, identifie Dieu et la Nature, expulsant ainsi toute représentation anthropomorphique du divin. Ou de Jiddu Krishnamurti qui affirme : « Un esprit religieux est totalement différent de celui qui croit en une religion. On ne peut pas être religieux et en même temps être hindou, musulman, chrétien, bouddhiste. Un esprit religieux n’est pas à la recherche de quelque chose, il ne peut faire aucune expérience avec la vérité, car elle n’est pas une chose qui puisse être dictée par le désir ou la souffrance, ni par un conditionnement, hindou ou autre ». Mais, nul religieux ne peut admettre cette évidence, sans se discréditer du même coup et perdre tout pouvoir sur les « âmes ».

Quitter nos croyances religieuses, c’est quitter un « monde imaginaire ». Non pas pour trahir « Dieu » comme trop longtemps soutenu, mais pour être fidèle à soi. Enfin. Je sais le bond « mental », vertigineux… Un véritable bond dans le vide… Comme la plupart j’imagine, j’aimerais vivre de certitudes. À commencer sur mes « fins dernières ». Mais, si « Dieu » était évidence – comme nous le sommes, vous et moi –, cela se saurait. C’est bien peu pour espérer en « l’au-delà », énorme pour vivre « l’ici-bas » : il n’est plus besoin des croyances, d’une humanité soumise aux dieux. Il n’est plus de crainte de l’enfer ou de paradis à mériter par grâce ou à la force des poignets. Il devient possible de vivre désenchaîné des dieux, libre sur son chemin d’intériorité. C’est immense pour qui aime une vie libre et responsable. Une vie égalitaire entre les femmes et les hommes, entre tous les humains. Une vie émancipée, débarrassée de la pensée unique et des guerres de religion. Imaginez, un instant, un monde sans croyance religieuse ni idéologie d’aucune sorte. Un monde seulement uni par notre humanité commune…

Comment donner un sens à cette vie ? Telle est la véritable question à laquelle je peux donner, sans attendre, une réponse pleinement satisfaisante. Comment, si ce n’est en aimant ? C’est véritablement le plus difficile et le plus urgent. Aimer sans plus diviser le monde, les humains. Soudan, Syrie, Irak, Turquie, Corée du Nord, Arabie Saoudite… Migrants en déshérence, viols des femmes, terrorisme international, régimes totalitaires, esclavagismes modernes, fanatismes religieux… Notre monde crève d’un manque d’amour. La peur de l’autre engendre la haine. La peur de la différence, exacerbée par les fous de dieu. La peur engendre le repli sur soi, la mort de l’autre. Etty Hillesum, déportée à Auschwitz, sait de quoi elle parle : « Notre unique obligation morale, c’est de défricher en nous-mêmes de vastes clairières de paix et de les étendre de proche en proche, jusqu’à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y a de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans ce monde en ébullition. »  Là gît la véritable conversion intérieure, l’authentique « esprit religieux ». C’est peu, mais c’est énorme.

Pascal HUBERT, Golias Hebdo, n° 525

http://golias-editions.fr/

 

 

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