Désir, joie et… libre pensée

Désir, joie et… libre pensée

« Tous les préjugés que j’entreprends de signaler ici dépendent d’un seul : les hommes supposent communément que toutes les choses naturelles agissent, comme eux-mêmes, en vue d’une fin, et bien plus, ils considèrent comme certain que Dieu lui-même dispose tout en vue d’une certaine fin, car ils disent que Dieu a fait toutes choses en vue de l’homme, mais il a fait l’homme pour en recevoir un culte. »

L’auteur de ces lignes est né à Amsterdam au XVIIe siècle, dans une famille juive ayant fui les persécutions de l’Inquisition. Il suivra les cours de l’école juive élémentaire, où il fera des études à la fois théologiques et commerciales. Puis il approfondira sa connaissance de la Torah. Il découvrira, par la suite, la philosophie grâce à Franciscus van den Enden, philosophe libre penseur, qui fondera une école à Amsterdam. Il s’y inscrit, apprend le latin, et découvre les grands penseurs comme Hobbes, Bacon, Machiavel.

Peu à peu, par le seul exercice de la raison, il remettra en question les croyances de sa communauté, s’attirant inévitablement l’hostilité de certains de ses membres. Finalement, en 1656, refusant de faire pénitence, les autorités rabbiniques le frappent par un hérem (excommunication), qui le maudit de façon définitive pour hérésie.

La volonté de dieu, cet asile de l’ignorance

Vous l’aurez peut-être reconnu ? Il s’agit de Baruch de Spinoza, et de l’incipit tiré de L’Éthique. Il sera précurseur des Lumières et de nos démocraties modernes, lecteur critique de la Bible. Il bâtira une philosophie du désir et de la joie qui révolutionne aujourd’hui encore notre manière d’appréhender le monde qui nous entoure.

Ainsi, au travers de son œuvre, Spinoza s’oppose frontalement à l’idée que le mal serait le fruit de la faiblesse de l’homme ou d’une « défectuosité de la nature humaine », faiblesse qui elle‑même serait due au péché originel d’Adam et à la Chute. Pour lui, il n’y a pas de Dieu transcendant, extérieur au monde, personnel ou juge. Dieu est tout ce qui existe, il est la Nature. Toute son œuvre entretiendra ainsi une relation critique avec les positions traditionnelles des religions monothéistes que constituent le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Et ce qui est proprement révolutionnaire chez Spinoza tient au fait qu’il a l’immense mérite de nous réconcilier avec notre désir, nos affects et notre besoin de comprendre le monde par la raison et non plus par les dogmes religieux de la transcendance divine et d’une révélation surnaturelle. Sa philosophie le fera passer, on pouvait s’en douter, pour un auteur athée.

Pourtant, sa pensée d’homme libre face à Dieu devrait nous interpeller tout particulièrement en ces temps troublés où la religion semble vouloir conquérir à nouveau les esprits et les sociétés, au besoin par la contrainte. Pour Spinoza, en effet, si tous les hommes étaient assez rationnels, ils choisiraient tous de vivre dans une démocratie tolérante et laïque…

Il ne sera pas entendu. C’est donc à l’âge de vingt-quatre ans que Spinoza sera banni de sa communauté, par ces mots d’une violence inouïe : « À l’aide du jugement des saints et des anges, nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza avec le consentement de toute la sainte communauté en présence de nos saints livres et des six cent treize commandements qui y sont enfermés. Nous formulons ce hérem comme Josué le formula à l’encontre de Jéricho. Nous le maudissons comme Élie maudit les enfants et avec toutes les malédictions que l’on trouve dans la Loi. Qu’il soit maudit le jour, qu’il soit maudit la nuit ; qu’il soir maudit pendant son sommeil et pendant qu’il veille. Qu’il soit maudit à son entrée et qu’il soit maudit à sa sortie. Veuille l’Éternel ne jamais lui pardonner. Veuille l’Éternel allumer contre cet homme toute Sa colère et déverser sur lui tous les maux mentionnés dans le livre de la Loi : que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais et qu’il plaise à Dieu de le séparer de toutes les tribus d’Israël en l’affligeant de toutes les malédictions que contient la Loi. Et vous qui restez attachés à l’Éternel, votre Dieu, qu’Il vous conserve en vie. »

Muni de ce viatique, il ne restait plus à Baruch qu’à… s’exiler loin des siens et de sa communauté d’origine, par amour de la vérité. Il quitta donc la société d’import-export familiale et gagna sa vie en taillant des lentilles optiques pour lunettes et microscopes. Et, demeuré fidèle à sa seule raison, il écrira l’œuvre que l’on sait…

À sa mort, le 21 février 1677, ceux qui l’avaient banni resteront persuadés qu’il puisait sa science en enfer. Nul n’est décidément prophète en son pays et la volonté de dieu, érigée de fer et de sang par des hommes pétris de certitudes, n’est jamais que l’asile de notre propre ignorance…

Pascal Hubert, Golias Hebdo, n° 513

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       Une vie, une œuvre : Baruch Spinoza (1632-1677)

Intervenants : André Comte-Sponville, Robert Misrahi, Alexandre Matheron,                                                  Jean-Noël Vuarnet, Gilles Aillaud, Claude Birman

Raphaël Enthoven 

Spinoza, Dieu et l’asile de l’ignorance

Spinoza, athée ?

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