La Vérité est un pays sans chemin

krisn DR

La Vérité est un pays sans chemin

Je ne cherche ni à plaire ni à déplaire, ni à choquer ni à provoquer – mais à faire réfléchir, certainement. Je vois seulement que plus le temps passe et moins j’ai de certitudes. J’ai compris que c’était notre ignorance des choses de la vie et notre peur de la mort qui avaient besoin de sécurité. Autour de moi, dans le bureau où j’écris ces quelques mots, j’ai des centaines d’articles et des dizaines de livres. Je les ai accumulés et lus frénétiquement, au fil de ma quête. J’avais besoin de comprendre le monde qui m’entourait, d’où je venais et quel était le sens de cette vie. J’ai ainsi lu Varillon, Zundel, Moingt, Küng, Drewermann, Bonhoëffer et tant d’autres. Ils m’ont ouvert l’esprit, m’ont amené peu à peu à réviser mes opinions par trop obtuses. Ils m’ont parfois ébranlé par l’audace de leurs remises en question. Allais-je les suivre sur cette voie de la déconstruction ? Par souci d’être ajusté avec mon humanité, j’y fus littéralement contraint. Par souci de ne plus me leurrer derrière des rhétoriques apprises, mais jamais vécues de l’intérieur. Par souci de faire corps avec moi et de me faire enfin confiance, j’ai consenti à ce qu’ils me montrent la voie. Je n’ai aucun regret – tant s’en faut –, je sais seulement que le chemin n’a pas de fin. Vous comprenez ? Comme tant d’autres avant moi, j’ai cru sur la foi d’autrui. J’ai baigné dans un corpus mental qui me semblait solidement ancré, mais qui, en réalité, ne venait pas de moi. C’est la raison pour laquelle j’empruntai, peu à peu, un autre chemin : celui du non-savoir. Au fond, tous ces amis écrivains sur ma route ne m’ont rien appris, si ce n’est à oser cheminer seul. Je me le répète souvent ces derniers temps, mais je crois ne pas me tromper : il ne faut faire sienne une certaine idée de la vie que si nous l’avons expérimentée personnellement, jamais sur la seule foi d’un enseignement venu du dehors. Si l’on prend cette vérité – cette liberté ! – pour boussole, il est certain qu’elle nous mènera à de profondes et douloureuses remises en cause. Je dois être honnête : je ne sais plus d’où je viens ni où je vais. Les religions ont échafaudé bien des réponses, mais aucune ne me satisfait plus. Je n’ai jamais vu Dieu ni Jésus. J’en ai seulement entendu parler, jusqu’au trop-plein de certitudes. Je ne peux donc m’en faire aucune idée sans me faire encore illusion. Si je ne veux plus me leurrer, je dois me défaire de toute image, de toute représentation héritée d’une époque, d’une culture, d’une religion. Et me poser, en vérité, cette unique question : qu’est-ce que, moi, je crois vraiment, d’expérience ? Qu’ai-je vécu à l’intime que je puis faire mien et, le cas échéant, transmettre en vérité ? Cela passe nécessairement par la connaissance de soi, non plus par une « profession de foi ». J’ai fini par admettre, peu à peu, cette vérité le jour où je suis tombé sur les Journaux de Charles Juliet. J’étais enfin compris, j’avais trouvé un ami. Il vivait les mêmes tourments intérieurs, la même quête de sens, le même besoin de se connaître et de se désentraver. Il partait de sa vie et se creusait par ses lectures et par ses mots. C’était pour lui devenu un besoin vital. Sa lucidité me paraissait totale, son cheminement parfaitement sincère. Il me conduira à découvrir aussi Krishnamurti. Cet homme qui avait un avenir tout tracé : depuis son enfance, il avait été préparé à devenir l’Instructeur du monde au sein de l’Ordre de l’Étoile en Orient, fondé à cet effet en 1911 par Madame Besant, Présidente de la Société Théosophique. Alors qu’il avait été nommé Chef de l’ordre, le 2 août 1929, jour d’ouverture du Camp de l’Étoile annuel d’Ommen (Hollande), il dissolvait l’Ordre devant 3.000 membres, en y faisant cette déclaration pour le moins surprenante : « Je soutiens que la Vérité est un pays sans chemin : vous ne pouvez avancer vers elle par quelque voie que ce soit, par aucune religion, aucune secte. Tel est mon point de vue et j’y souscris entièrement, inconditionnellement. La Vérité étant infinie, non conditionnée, inapprochable par aucune voie, on ne peut l’organiser ; on ne peut pas non plus constituer une organisation pour amener ou forcer les gens à suivre un chemin particulier. Si vous avez compris cela, vous verrez combien il est impossible d’organiser la foi. La foi est quelque chose de strictement personnel, vous ne pouvez ni ne devez l’organiser. Si vous le faites, elle meurt, se cristallise, devient un credo, une secte, une religion, que l’on impose aux autres ».[1] En lisant ces mots, je ne peux m’empêcher de voir l’immense liberté qu’ils recèlent. Et, par contraste, je ne peux m’empêcher de songer à ce que les religions ont fait de cette Vérité. Ces mots, il faut oser les prendre aux pieds de la lettre. Il faut oser les prendre pour soi. Ils sont de nature proprement révolutionnaire, seuls aptes à conduire chaque femme et chaque homme sur son propre chemin de liberté et de vie. Si nous avons le courage de dépasser nos peurs, nous n’avons plus besoin des religions. Nous devenons capables d’assumer pleinement notre humanité, sans secours illusoire. Mais, me direz-vous peut-être, quelle est donc cette Vérité sans chemin ? Elle est on ne peut plus simple et difficile à la fois : la connaissance de soi, pour vivre une véritable mutation intérieure et être enfin libres. Libres d’aimer en vérité, à commencer par soi-même.

Pascal HUBERT, Golias Hebdo, n° 499

http://www.golias-editions.fr/

 

[1] Voy. la déclaration de Krishnamurti sur la dissolution de l’Ordre, https://lc.cx/mNwu

Krishnamurti, chronique d’une vie peu ordinaire :

 

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