D.R. Marie-Laure JANSSENS
Le silence de la Vierge est un livre-choc qui devrait faire grand bruit. De quoi s’agit-il ? La Communauté Saint-Jean a été créée en 1975 par le père Marie-Dominique Philippe. Ses membres sont également appelés les « Petits Gris ». Marie-Laure Janssens est sortie en 2010 de la Communauté des sœurs contemplatives de Saint-Jean, dans laquelle elle a passé onze ans de sa vie. Dans ce livre, elle raconte avoir été victime de graves abus spirituels, en particulier de la part d’une mère supérieure perverse et manipulatrice. Tous les ingrédients de l’emprise mentale et des dérives sectaires sont, de fait, réunis. En 2003 déjà, elle demandera à son évêque l’autorisation de raconter son histoire. Sa réaction ? « Le silence de l’Église est à sa manière un acte de miséricorde à l’égard des personnes. Ce n’est pas avoir peur de la vérité que de garder le silence lorsque celui-ci est le langage du don de soi, le langage du service comme la Vierge Marie vous le fait comprendre. » Marie-Laure Janssens, elle, n’a pas aimé la manière. Elle a choisi de briser l’omerta. Le bourreau ne tue pas toujours deux fois. Parlons-en, sans langue de buis.
Mécanisme du silence et dérives sectaires. Une ex-religieuse témoigne
Comme à chaque fois qu’une victime ose sortir du silence, et il lui faut une sacrée dose de courage, elle se trouve confrontée à deux réactions antagonistes : « Enfin quelqu’un qui ose dénoncer des crimes malgré l’omerta ! » ou à l’inverse : « Mais pourquoi vouloir entacher ainsi la réputation de l’Église alors que nous sommes tous pécheurs ? ». En réalité, seule la première attitude est éminemment respectable parce que le déni tue, lentement ou violemment. Et qu’une réputation ne devrait jamais s’asseoir sur le mensonge, sous peine d’être usurpée. Encore moins lorsque c’est l’Église qui entend montrer l’exemple.
En l’espèce, force est de constater que le témoignage de Marie-Laure Janssens est l’arbre qui cache la forêt. Un de plus, indispensable pour faire bouger l’institution-église. En effet, d’une façon générale, il convient de constater que la passivité de l’Église vis-à-vis des délits ou des crimes commis en son sein est d’une rare constance. Bornons-nous ici à rappeler l’enquête [1] de Mathieu Périsse, Mathieu Martiniere et Daphné Gastaldi sur l’incroyable mécanique de l’Église catholique afin de couvrir des dizaines de prêtres coupables d’abus sexuel. Il est alors relevé un mode opératoire tacite, fait de dissimulations, de déplacements et d’exfiltrations, qui a réduit, partout en France, plus de trois cents victimes au silence. La mécanique à l’égard des mouvements sectaires qui sévissent au sein de l’Église participe du même déni d’une réalité parfaitement connue, pour être ancienne et largement pratiquée. Et il ne s’agit plus de parler de péché qu’il faudrait régler en « famille », mais de délits ou de crimes qui regardent la société civile et la justice pénale. C’est bien la victime qu’il importe en premier lieu de réhabiliter. Enfin.
La Communauté Saint-Jean : un exemple de dérive sectaire catholique parmi d’autres
Les dérives sectaires au sein de l’Église frappent de nombreux mouvements ou communautés religieuses [2] et cela commence à faire beaucoup pour n’y voir qu’un simple épiphénomène. Ainsi, parmi d’autres, citons : Communauté des Béatitudes, Famille monastique de Bethléem, Chemin néocatéchuménal, Communauté de Nazareth, Communion et libération, Légion du Christ et Regnum Christi, Mouvement des Focolari, Opus Dei, Points-Cœur, Travailleuses Missionnaires.
La Communauté Saint-Jean fut créée en 1975 par le père Marie-Dominique Philippe. Ses membres sont également appelés les « Petits Gris » (en raison de la couleur de leur habit). Elle compte actuellement trois branches : les Frères de Saint-Jean (500 frères), les Sœurs contemplatives de Saint-Jean (80 religieuses) et les Sœurs apostoliques de Saint-Jean (200 religieuses). Une quatrième branche constituée par les Sœurs mariales d’Israël et de Saint-Jean (40 religieuses) a été dissoute en 2005 pour cause de dérives sectaires.
Le charisme vanté ? « Le charisme de la Communauté Saint-Jean est de chercher à suivre Jésus-Christ, à la manière de l’apôtre saint Jean «afin de donner à l’Église d’aujourd’hui et au monde entier le témoignage du primat absolu de l’amour du cœur de Jésus, son amour filial pour le père qu’il glorifie, son amour pour les hommes qu’il sauve » [3].
Son fondateur, le père Marie-Dominique Philippe, décédé en 2006, théoricien de « l’amour d’amitié » [4], a été accusé jusqu’à Rome de « déviances dans sa vie affective et sexuelle ». Plusieurs frères de Saint-Jean ont été jugés pour abus sexuels.
Les dérives sectaires au sein de la Communauté Saint-Jean sont connues de longue date [5]. L’AVREF [6], association créée pour dénoncer les dérives sectaires dans les Communautés religieuses, a même rédigé « Le livre Noir de la Fraternité Saint Jean » [7] en mai 2015.
La gravité et l’ampleur des dérives sectaires avaient encore été révélées en 2013 au travers des médias français. Pour mémoire, le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Georges Pontier, avait alors répondu officiellement à une quarantaine de victimes d’abus sexuels et spirituels mettant alors en cause pas moins de quatorze Communautés, mouvements d’église et congrégations religieuses [8], étant : Béatitudes, Famille monastique de Bethléem, Légion du Christ, Regnum Christi, Fraternité Eucharistein, Emmanuel et Fraternité de Jésus, Sœurs mariales d’Israël et de St Jean, Ancien collaborateur du père Labaky, Memores Domini (Communion et Libération), Communauté de Nazareth, Opus Dei, Points-Cœur, Communautés Saint-Jean, Fraternité diocésaine de Saint-Jean-de-Malte.
Seules cinq des quatorze Communautés citées ont fait l’objet de procès canoniques ou de révélations publiques : les Béatitudes (suspension du fondateur, Frère Ephraïm en 2008), la Légion du Christ (suspension du fondateur, le père Maciel, en 2006), Points-Cœur (condamnation canonique du fondateur, père Thierry de Roucy, en 2011), la Communauté Saint-Jean (accusations officiellement reconnues en mai 2013 contre le fondateur, le père Philippe) et les anciens collaborateurs du père Labaky (interdiction canonique de célébration en juin 2013).
En effet, s’agissant de la Communauté Saint Jean, le Chapitre Général des Frères de St Jean en date du 29 avril 2013 a reconnu les faits suivants : « le Chapitre Général a appris l’existence de quelques témoignages convergents et jugés crédibles par ceux qui y ont eu accès (des autorités d’Église et de notre Congrégation), faisant état chez notre fondateur de gestes contraires à la chasteté, posés à l’égard de femmes adultes qu’il accompagnait. Le Chapitre a reçu avec gravité cette annonce »[9].
Enfin, dans une lettre du 22 juin 2016 que révélait en intégralité Mediapart [10], le Vatican reconnaissait lui-même pour la première fois « l’indulgence suspecte » des « petits gris » de Saint-Jean à l’égard de la pédophilie et d’autres actes de violence. La Commu-nauté demande « pardon à toutes les victimes et à leurs familles » et promet des ré-formes [11].
Mais, comme à l’ordinaire, après un relifting de façade – modification des statuts, écarte-ment d’un supérieur ou d’un fondateur – la plupart des mouvements ou Communautés poursuivent leur « mission » avec la bénédiction de l’Église catholique.[12]
Ce fut notamment [13] le cas pour la Communauté des Béatitudes [14], le Chemin néoca-téchuménal [15], le Mouvement des Focolari [16], la Légion du Christ [17], et Regnum Christi [18], l’Opus Dei [19], Points‑Cœur [20] et, bien sûr, la Commu-nauté Saint‑Jean [21].
Ainsi, « cette crise est une opportunité pour avancer » [22] (sic), considère Frère Thomas, prieur général de la Communauté Saint-Jean. Par ailleurs, le prieur général prenait acte de l’affirmation de la congrégation romaine à propos des témoignages mettant en cause la chasteté du fondateur : « Il serait contraire à la vérité de le nier ou de le passer sous silence. Les membres de la famille Saint-Jean doivent intégrer cela à leur histoire avec humilité et confiance », écrivent les deux signataires. Mais, selon Frère Thomas, cela supposerait de « distinguer » le charisme du fondateur : « Le fondateur n’est pas le charisme et le charisme dépasse toujours le fondateur. Seul, le Christ est source ». Et c’est là que le bât blesse ou que la pirouette se joue. Comment croire à la résolution définitive des dérives maintes et maintes fois dénoncées avec un argument à ce point irrationnel ?
Ainsi, comme le relève le livre noir de l’Avref, « quoi qu’il en soit, tout en reconnaissant que des abus ont été commis, le Chapitre général s’en tient à la fidélité au ‘charisme’ du fondateur, qui n’est pas remis en cause. Ce terme recouvre notamment l’idéologie de l’amour d’amitié dont l’ambivalence justifie, comme dans l’Antiquité grecque, tout type de relation physique, quel que soit l’âge ou le sexe du partenaire considéré. Il y a là comme un relent de Marcial Maciel. » [23]
De qui se moque-t-on, si ce n’est encore et toujours des victimes ?
Une prière, un livre : le silence de la Vierge
Une prière bien silencieuse
Les dérives sont graves, récurrentes, connues de longue date. Pourtant, Marie-Laure Janssens [24] n’a pas été entendue quand elle a voulu raconter son histoire dès 2013 et s’est ouvert de son projet à Mgr Henri Brincard, alors délégué du pape auprès de la Communauté. « Le silence de l’Église est à sa manière un acte de miséricorde à l’égard des personnes », lui répondra l’évêque, décédé depuis.
Le silence de la Vierge, avant d’être un livre est une prière pieuse du cardinal de Bérulle, qui donne toute la mesure des abus et dérives sectaires rendues possibles :
Le partage de la Vierge est d’être en silence. C’est son état, c’est sa voie, c’est sa vie. Sa vie est une vie de silence qui adore la parole éternelle. En voyant devant ses yeux, en son sein, en ses bras, cette même Parole substantielle du Père, être muette et réduite au silence par l’état de son enfance, elle entre en un nouveau silence et y est transformée à l’exemple du Verbe incarné, qui est son fils, son Dieu et son unique Amour. Et sa vie se passe ainsi de silence en silence, de silence d’adoration en silence de transformation. Les pasteurs courent et parlent ; et Marie est en silence. Les rois arrivent, parlent et font parler toute la ville, tout l’état et tout le sacré synode de Judée ; et Marie est en retraite et en silence. Tout l’état est ému et chacun s’étonne et parle du nouveau roi recherché par les rois ; et Marie est en son repos et en son sacré silence. Siméon parle au temple et Anne la prophétesse, et tous ceux qui attendent le salut d’Israël : et Marie offre, donne, reçoit et rapporte son Fils en silence. C’est un effet puissant et divin dans l’ordre de la grâce, c’est-à-dire, c’est un silence opéré par le silence de Jésus, qui imprime ce divin effet en sa Mère et qui la tire à lui dans son propre silence, et qui absorbe en sa divinité toute parole et pensée de sa créature. C’est un effet puissant et divin.
Marie la vierge, la mère, la toute pure… la silencieuse… le parfait modèle de la femme soumise… C’est une constante dans l’Église de demander aux femmes d’être au service et de se taire… C’est une doxa qui s’avère pourtant coupable, parce que terriblement dangereuse pour la santé physique et psychique de qui s’emploierait à s’y conformer trop fidèlement.
À cet égard, force est de constater que le discours sur les femmes (son génie féminin) est théorisé par des hommes. Comme le relèvent à juste titre Maud Amandier et Alice Chablis : « Les femmes n’auraient certainement pas inventé le récit du chapitre 2 de la Genèse, qui met en scène une femme, Ève, créée pour être une aide de l’être masculin, et qui est cause de son malheur. Elles n’auraient pas davantage imaginé une femme, Marie, tout à la fois vierge et mère, sans péché, humble, soumise et effacée. Elles ne l’auraient pas non plus donnée explicitement en modèle impossible à toutes les autres, avec une vocation au service jusqu’au ‘don total de soi’ » [25].
Un livre pour briser le silence
Le témoignage de Marie-Laure Janssens est donc un nouveau témoignage, qui tend à briser la loi du silence. De quoi s’agit-il au juste ? « J’ai bel et bien passé onze ans dans une secte », écrit-elle sans ambages dans son livre. Elle pensait « remettre sa vie entre les mains de Dieu et, en fait, ce qui s’est passé c’est que j’ai remis ma vie entre les mains d’une personne », raconte-t-elle sur France info. [26]
Une personne qui, en l’espèce, n’est autre que sa mère supérieure perverse et manipulatrice. Peu à peu s’instaurera le mensonge à l’égard de la famille, la remise de sa vie entièrement entre les mains de la Supérieure (ce qu’elle fait, pense, vit, ses désirs, ses questions, ses objections, ses souffrances), sous peine d’être infidèle, de faire éventuellement le jeu du démon. Sans compter les caresses de celles-ci que Marie-Laure Janssens interprétait, de par sa faute, d’une manière forcément impure (« Le problème c’est toi, moi je suis pure »). Elle se retrouve ainsi, peu à peu, seule avec sa souffrance, ne sachant plus quoi penser ni à qui se confier. Dans son livre, elle dénonce aussi l’hypocrisie de l’Église qui refuse de pointer clairement les dysfonctionnements qui existent dans ces communautés, qui refusent, comme elle le dit, d’appeler « un chat, un chat » : « une secte, une secte », « un suicide, un suicide ». Il existe donc manipulation mentale et atténuation des vraies responsabilités. Une manipulation qui, dans son cas, durera 11 années et sera jalonnée, pour elle ou ses sœurs d’infortune, de traitements psychiatriques, suicides, dépressions, anorexies, angoisses sans fin. Le tout, au nom de la Volonté de Dieu.
Quels dysfonctionnements au quotidien pour en arriver à de telles situations infernales et totalement aberrantes ? Une absence de discernement proposé aux postulantes pour juger du sérieux de leur engagement. Une prétendue « docilité confiante à la volonté du Seigneur » qui devient rapidement sujétion totale à la responsable des novices, sœur Marthe. Un enseignement sérieux inexistant si ce n’est aux écrits du fondateur. Une vénération idolâtrique de celui-ci. Les plaintes à l’encontre de la communauté jugées comme autant de persécutions, perçues elles-mêmes comme chemin de sainteté. Les départs des religieuses sont vécus comme des trahisons et des manquements à leur vocation, forcément attribuables au démon. Toute parole vraie sur une souffrance est ainsi empêchée, jusqu’aux raisons réelles des suicides qui surviennent au sein de la Communauté. Il faut donc se taire et supporter sa croix en silence, à l’instar de Marie et du Christ. Marie-Laure Janssens parlera également de ses violentes douleurs abdominales qui, supposées d’origine diabolique, seront traitées au moyen de « messes de guérison de l’arbre généalogique », célébrées par un prêtre exorciste de la Communauté, le père Paul-Marie. Ainsi, tout se vit et s’endure en vase clos.
Ainsi sont décrits des abus et dérives sectaires dénoncés sans succès depuis une dizaine d’années déjà…
C’est le 6 juin 2009 [27] que Marie-Laure Janssens, elle, pourra enfin saisir sa planche de salut : toutes les supérieures sont enfin destituées. Choc énorme pour elle. Preuve, s’il en est, que ses doutes et sa souffrance trouvaient bien leur origine dans les graves dysfonctionnements de la Communauté. Preuve, en somme, qu’elle n’était pas folle !
Finalement, l’écriture de son livre poignant, 7 années après la sortie de la Communauté Saint Jean, trouve son origine dans le fait que les situations qu’elle dénonce perdurent [28]. Ainsi, le « groupe sectaire » auquel elle a appartenu, « finalement, il s’est reformé ». « L’Église est coupable, elle réagit, elle sanctionne, et puis finalement on déplace le problème, sous un autre nom, dans un autre lieu. Et puis ça recommence et puis les jeunes continuent à rentrer dedans et se faire piéger », dit-elle encore, avec une sérénité qui impressionne au vu de la gravité des souffrances dénoncées. C’est donc le silence criminel de l’institution qui l’a contraint à parler, ayant finalement compris à ses dépens que « témoigner auprès d’un évêque c’est comme hurler dans une pièce insonorisée ». Pour rappel, dès 2013, pourtant, « L’appel de Lourdes » avait interpellé directement les évêques de France sur la question des dérives sectaires dans les communautés catholiques. Lenteurs, quand tu nous figes…
Marie-Laure Janssens prononce finalement, à l’égard de sa Communauté, ces mots sans appel : « Lorsqu’on accueille les témoignages convergents sur les déviances affectives et sexuelles du père M-D Philippe, et que l’on voit les dérives liées à son enseignement éthique, ainsi que l’amplitude du phénomène de l’abus dans la communauté (tant par les types d’abus que par le nombre des abuseurs et des victimes), on peut se demander en effet si la gangrène n’a pas atteint le corps tout entier et, surtout, si la cellule initiale était saine. » [29]
Se poser la question, c’est déjà y répondre.
Disons tout de même un mot sur ces « déviances affectives et sexuelles ». De quoi s’agit-il au juste ? Il s’agit purement et simplement d’abus commis, à partir du jour des 18 ans le plus souvent, par un accompagnateur spirituel, un frère prieur ou un supérieur par exemple, et ce sous couvert de la doctrine de « l’amour d’amitié » du père Marie-Dominique Philippe [30].
Dérives sectaires : définition, critères et origine
Qu’est-ce qu’une dérive sectaire ?
Pour la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), il s’agit d’un « dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion » qui se caractérise par « la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé (…) de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre ».
Les indices de dérives sectaires souvent répertoriés sont connus : idolâtrie à l’égard du fondateur ou de la fondatrice, autoritarisme totalitaire, obéissance aveugle aux supérieurs, dépersonnalisation, perte d’identité et d’autonomie, embrigadement, harcèlement, prosélytisme, la délation entre membres, un emploi du temps empêchant toute pensée critique, le prosélytisme, un rapport malsain à l’argent, des abus moraux ou sexuels, parfois des menaces verbales ou physiques à l’encontre des membres qui veulent partir.
À partir des nombreux témoignages reçus, Sœur Chantal-Marie Sorlin [31], juge à l’officialité de Dijon et responsable du bureau des dérives sectaires de la CEF, a établi une grille de quatre grands critères :
- Le culte de la personnalité: souvent, le fondateur prend la place du Christ.
- La coupure avec l’extérieur : avec la famille, avec les informations du monde extérieur.
- La manipulation mentale : un recrutement rapide, des pressions, de la culpabilisation (« le doute, c’est le diable »), une confusion du for interne et du for externe, l’interdiction de critiquer ses responsables au nom de la sainte obéissance…)
- L’incohérence de la vie (l’argent, les mœurs…)
Des dérives sectaires similaires
Si chaque fondateur aurait reçu une « inspiration divine » et si chaque mouvement entend se distinguer par son « charisme », force est de constater qu’ils partagent les mêmes dérives sectaires qui découlent, de fait, de caractéristiques semblables :
- conservatisme théologique et moral
- anti-intellectualisme
- aspiration au pouvoir ecclésiastique et temporel, fondé sur leur puissance financière
- tendance à fonctionner en « Église à l’intérieur de l’Église »
- structure fortement hiérarchique
- contrôle étroit sur la vie des membres de l’organisation
Au-delà des dérives : quelle origine ?
Piqûre de rappel : les accusations de dérives avaient initialement été balayées par plusieurs évêques (notamment les évêques hébergeant les Communautés Saint Jean), comme Mgr Madec ou Mgr Poulain [32]. Ceux-ci entendaient alors préciser dans un communiqué que : « face aux accusations lancées par l’AVREF (Association Vie religieuse et Famille), ils se portent garants de ce que vivent ces communautés et récusent à leur propos toute qualification de secte et de dérives sectaires. […] Leurs communautés vivent selon les règles établies par l’Église et ne peuvent d’aucune façon être accusées d’être des sectes. Nous ne pouvons admettre qu’on fasse peser sur elles un tel soupçon et qu’on ternisse ainsi l’image de jeunes religieuses et religieux qui, avec leurs richesses et leurs fragilités, donnent généreusement leur vie pour l’amour du Christ et des hommes. » [33]
La suite est désormais connue et constitue un cinglant démenti devant le déni de souffrances pourtant gravissimes.
Cela étant désormais acquis, peut-on et faut-il se risquer à chercher la cause profonde de toutes ces dérives sectaires, abus de faiblesse, délits ou crimes vécus au sein de tant et tant de communautés et mouvements qui sont bel et bien nés au sein même de l’institution-église ?
Tout est sans doute une question d’angle de vue, de capacité de remise en question, de prise de conscience, de volonté d’extirper le mal à sa racine. Jusqu’ici, déplacer un fondateur ou un membre pervers n’a, à l’évidence, pas permis d’éradiquer le mal. Pas davantage qu’une réforme des structures et statuts des communautés et mouvements déviants.
Aussi, il ne nous paraît plus possible de distinguer la communauté ou le mouvement déviant, d’une part, et l’église-institution, d’autre part. En d’autres termes, il nous semble qu’il faille chercher le « poison » au sein même de la doctrine ecclésiale [34] qui fonde et l’Église-institution et les communautés ou mouvements déviants. Et c’est sans doute l’un des motifs pour lesquelles l’institution ecclésiale s’est montrée si durablement silencieuse malgré les graves manquements surgis en son propre sein.
Quelle est donc la doctrine de l’Église catholique, son fondement, sa clef de voûte ? Le péché originel (cette « culpabilité héréditaire ») et l’Église pour unique Vérité et chemin de sanctification à laquelle tout fidèle est censé se soumettre. L’humanité entière, depuis la nuit des temps, est considérée comme mauvaise, pécheresse, irrémédiablement perdue s’il n’y avait eu le Salut sacrificiel offert par le Christ et l’Église qui, à sa suite, serait la garante fidèle de la « Parole de Dieu ». Jean-Paul II le soulignait encore dans son encyclique Veritatis splendor : « Appelés au salut par la foi en Jésus-Christ (…), ils (les hommes) se sanctifient par l’obéissance à la vérité » (1 P 1,22). Sur le modèle du « fiat » de Marie, il s’agirait ainsi d’obéir sous peine de tomber dans le péché : « Cette obéissance n’est pas toujours facile. À la suite du mystérieux péché originel, commis à l’instigation de Satan, « menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44), l’homme est tenté en permanence de détourner son regard du Dieu vivant et vrai pour le porter vers les idoles (cf. Th 1, 9), échangeant « la vérité de Dieu contre le mensonge » (Rm 1, 25) ; même la capacité de connaître la vérité se trouve alors obscurcie et sa volonté de s’y soumettre, affaiblie. Et ainsi, en s’abandonnant au relativisme et au scepticisme (cf. Jn 18, 38), l’homme recherche une liberté illusoire en dehors de la vérité elle-même. [35] »
Comment dès lors s’étonner de l’emprise mentale sur certains esprits lorsque la volonté d’un Supérieur serait volonté de Dieu ? Comment s’étonner que la personne en vienne à perdre son libre arbitre, à se concevoir comme fondamentalement mauvaise lorsqu’elle cherche à comprendre et critiquer un enseignement ou son dispensateur ? Comment oser remettre en cause sa vocation lorsque la crainte de l’enfer vous pend au nez ? Fonder sa vie sur l’obéissance aveugle sous peine d’être l’objet du démon ne peut conduire qu’à de graves troubles psychiques. C’est une réalité – bien charnelle celle-là – qu’aucune doctrine ne pourra jamais démentir.
John Shelby Spong a l’immense mérite de rappeler des évidences : « […] L’Église est le seul endroit où l’on puisse venir pour être sauvé. C’est l’Église qui contrôle le pardon et elle a intérêt à nous rendre aussi pécheur que possible afin que nous désirions davantage ce qu’elle a à offrir. La culpabilité est au cœur de son message. Le sentiment de culpabilité est ce que l’Église offre sans cesse et toujours davantage. Le péché est sans doute caractéristique des limites de notre humanité, mais le châtiment de Dieu est l’enfer éternel. Quelle justice ! » [36]
Les religions officielles ont longtemps bénéficié d’un statut au-dessus de tout soupçon, du fait même d’être reconnues par l’État et légitimées par une Institution séculaire. Or que voit-on ? L’Église catholique, et les communautés ou mouvements en son sein, sont finalement sujets aux mêmes dérives que les sectes. Et cela est particulièrement visible dans les communautés et mouvements les plus conservateurs, à savoir ceux qui s’estiment être les plus fidèles à l’Église. Mais, cela précisément, ils ne sont pas prêts à l’entendre.
Pascal HUBERT, Golias Hebdo, n° 506
http://golias-editions.fr/article5500.html
[1] http://www.coabuse.fr/mecaniquedusilence.html
[2] Voy. sous la direction de Vincent Hanssens, De l’emprise à la liberté, Dérives sectaires au sein de l’Eglise. Témoignages et réflexions, éditions Mols, 2017 (trois mouvements catholiques sont décryptés : les Focolari, l’Opus Dei et les Légionnaires du Christ); voy. également la présentation du livre précité, de Pascal Hubert, dans Golias, n° 174, https://lc.cx/mNP6; pour un recensement et des éléments d’information sur des groupes, associations, œuvres et communautés problématiques, voy. https://lc.cx/mQ67; « 70 communautés nouvelles problématiques, 15 fondateurs sous enquête », https://lc.cx/mQ6B
[3] http://www.stjean.com/qui-sommes-nous
[4] Concept volontiers ambigu, à partir d’une analyse personnelle de textes d’Aristote et de Thomas d’Aquin, qui a entraîné des abus sexuels; voy. https://lc.cx/mQaw; https://lc.cx/mQaT; voy. également le livre noir de l’Avref, https://lc.cx/mQaG
[5] https://lc.cx/mQag ; https://lc.cx/mQad; « La face cachée des ‘Petits gris’ », Golias, n° 307, Christian Terras, « Les dérives du Père Marie-Dominique PHILIPPE, fondateur de la communauté St Jean », https://lc.cx/mdwi; voy. encore https://lc.cx/mdwJ; « Famille Saint-Jean/Père Marie-Dominique Philippe », https://lc.cx/mdUh; « Pastorale Nouvelles Croyances et Dérives Sectaires 72 – La Congrégation Saint Jean », https://lc.cx/mdUb; https://lc.cx/mdUj; voir encore : « Où en sont les frères de Saint‑Jean ? », KTO, 1er juin 2013, https://lc.cx/mdUt
[7] https://lc.cx/mdwb; voy. également le « Supplément spécial au Livre Noir de la Fraternité Saint Jean », https://lc.cx/mdwR
[8] Yves Hamant, Xavier Léger, Aymeri Suarez-Pazos, Appel de Lourdes 2013 : nous avons été entendus !, https://lc.cx/mdwy. Voy. également : Golias Hebdo, n° 312, 21 au 27 novembre 2013.
[9] https://lc.cx/mdwb
[10] https://lc.cx/mdi4
[11] https://lc.cx/mdi3
[12]Voy. http://www.regnumchristi.fr/articles/rencontre‑des‑mouvements‑d‑eglise‑avec‑le‑pape‑francois-a-rome;http://www.zenit.org/fr/articles/mouvements-ecclesiaux-et-communautes-nouvelles-vers-le-3e-congres-mondial; http://www.zenit.org/fr/keywords/ mouvements; http://www.zenit.org/fr/keywords/communautes; http://www.zenit.org/fr/keywords/evangelisation; http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20131124_ev angelii-gaudium.html
[13] Pour d’autres communautés ou mouvements : http://www.lenversdudecor.org/; http://gamaliel21.Pagesperso‑orange.fr/; http://pncds72.free.fr/; http://www.sos‑derive‑sectaire.fr/REPERTOIRE.htm; http://www.la-croix.com/Religion/Spiritualite/Comprendre-les-derives-sectaires-2014-10-24-1254187. Le pape François épingle également les dérives possibles:http://www.lenversdudecor.org/Francois-denonce-la-manipulation-des-consciences.html; http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2014/november/documents/papa-francesco_20141122_convegno-movimenti-ecclesiali.html
[14] https://lc.cx/mdiE;
[15] http://www.zenit.org/fr/articles/audience‑a‑la‑communaute‑du‑chemin‑ neocate chumenal;http://www.sos‑derivesectaire.fr/03%20ARCHIVES%202012/03%20ARCHIVES% 202012%20C.htm#CHEMINNEOCAT
[16] http://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2014/09/26/0674/ 01502.html; http://www.zenit.org/fr/articles/l‑apport‑de‑chiara‑lubich‑a‑la‑spiritualite; http://www.zenit.org/fr/articles/focolari‑devenir‑des‑experts‑dans‑l‑accueil
[17] http://www.news.va/fr/news/legionnaires‑du‑christ‑un‑nouveau‑ depart; http://www. news.va/fr/news/le-saint-siege-approuve-les-nouvelles-constitution
[18] http://www.regnumchristi.fr/articles/reflexion‑sur‑la‑vie‑et‑la‑mission‑de‑regnum‑christi
[19] http://www.famillechretienne.fr/agir/temoins‑de‑la‑foi/3‑minutes‑en‑verite‑mgr‑ alvaro‑del‑portillo‑nouveau‑bienheureux‑de‑l‑opus‑dei‑un‑homme‑exceptionnellement‑humble-151023
[20] http://www.lenversdudecor.org/A‑propos‑de‑Points‑Coeur‑Communiqué‑de‑l‑Appel‑ de‑Lourdes.html
[21] Cf. émission spéciale KTO de juin 2013 : http://www.ktotv.com/video/00077235/ou-en-sont-les-freres-de-saint-jean
[22] https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/France/Rome-demande-famille-Saint -Jean-poursuivre-avec-fermete-reforme-2016-07-12-1200775406
[23] http://pncds72.free.fr/307_saint_jean/307_17_livre_noir_proces_jdolefevre/307_17_1_ avref_livre_noir.pdf
[24] Pour un recensement des articles et interview autour du livre de Marie-Laure Janssens, consultez : http://pncds72.free.fr/307_24_ml_janssens.php; interview de Marie-Laure Janssens, https://www.avref.fr/ interview- de-marie-laure-janssens.html
[25] Maud Amandier et Alice Chablis, Le déni. Enquête sur l’Église et l’égalité des sexes, Bayard, 2014, p. 169 (ainsi que leur blog : http://ledeni.net/fr/). Voy. également le livre très éclairant de Benoîte Groult, Ainsi soit-elle, Les cahiers Rouges, Grasset, 2011 (dans le chapitre 6, l’auteur revient en détail sur l’implication de l’église dans l’oppression féminine).
[26] https://positivr.fr/marie-laure-janssens-ex-religieuse-couvent-souffrance-temoignage -silence-de-la-vierge/
[27] Décision de Mgr Barbarin (évêque ordinaire de la communauté), en accord avec le Vatican, de remplacer la Soeur Alix, prieure générale sans discontinuer depuis la fondation de la communauté en 1982, par la sœur Johanna, http://golias-news.fr/article5356.html; http://pncds72.free.fr/307_saint_jean/307_11_contemplatives/ 307_11_3_soeurs_contemplativesSJ_golias_131226.pdf;https://fr.wikipedia.org/wiki/Communauté_Saint-Jean; http://communautesaintjean.over-blog.com/2016/02/rebellion-chez-les-soeurs-contemplatives-de-saint-jean-2009.html
[28] Voy. également le blog de René Poujol, « Onze ans dans une ‘secte catholique’ », http://www.rene poujol.fr/onze-ans-dans-une-secte-catholique/#comments ; « Interview de Marie-Laure Janssens », par l’Avref, https://www.avref.fr/interview-de-marie-laure-janssens.html
[29] https://www.avref.fr/interview-de-marie-laure-janssens.html; http://pncds72.free.fr/ 307_saint_jean/307_22_ sangfroid/307_22_sangfroid.pdf; Lettre du Vatican du 22 juin 2016 à la Communauté Saint-Jean, http://pncds72.free.fr/307_saint_jean/307_21_lettre_ vatican/307_21_1_lettre_vatican.pdf
[30] Pour un témoignage et des précisions sur cette doctrine déviante : http://www.lenversdudecor.org/Les-secrets-de-l-esprit-Johannique-enfin-devoiles.html; http://www.renepoujol.fr/onze-ans-dans-une-secte-catholique/; voy. également la note infrapaginale n° 4.
[31] http://pncds72.free.fr/301_derives_eglise/301_15_grille_gamaliel21_20.pdf
[32] http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.stjean.com%2 Ffrance %2Ffrance%2Farchives%2Fjpm_la_0203.pdf;http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.stjean.com%2Ffrance%2Ffrance%2Farchives%2Fmadec_poulain.php
[33] http://www.archives.stjean.com/france/france/archives/madec_poulain.php/
[34] Voy. également : Pascal Hubert, « Pour un nouveau Credo », Golias Magazine, n° 175, pp. 58-67 ; Pascal Hubert, « Le mythe de la pureté », Golias Magazine, n° 176 (à paraître).
[36] John Shelby Spong, « Pourquoi le christianisme tel que nous le connaissons est en train de mourir », https://protestants danslaville.org/john-s-spong/js114.htm
[37] Voy. la contribution juridique de Pascal Hubert, « Les mouvements au regard du Droit. Les dérives sectaires au sein de l’Église et la Loi », in De l’emprise à la liberté. […], op. cit, pp. 183 à 212.
[38] « Ces dérives sectaires qui ébranlent l’Église », http://gamaliel21.pagesperso-orange .fr/images/ IMAGES%202017/OCTOBRE%202017/article%20pelerin.pdf
Le silence de la Vierge : une ex-religieuse témoigne
Hondelatte raconte – Marie-Laure Janssens, une religieuse sous emprise – L’intégrale :
Défense des victimes et informations :
- AVREF, Aide aux Victimes de mouvements Religieux en Europe et Familles https://www.avref.fr/index.html
- CCMM, Centre Contre les Manipulations Mentales
http://www.ccmm.asso.fr - MIVILUDES, Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires,
http://www.miviludes.gouv.fr - UNADFI, Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes,
http://www.unadfi.org - GEMPPI, Groupe d’Etude des Mouvements de Pensée en vue de la Protection de l’Individu,
http://www.gemppi.org - GAMALIEL, Pastorale Nouvelles Croyances et Dérives Sectaires, diocèse de Dijon,
http://gamaliel21.pagesperso-orange.fr - PNCDS72, Pastorale Nouvelles Croyances et Dérives Sectaires, diocèse du Mans,
http://pncds72.free.fr - LENVERSDUDECOR.ORG, L’envers du décor, http://www.lenversdudecor.org/
N’hésitez pas à m’écrire, me donner votre avis, m’adresser une suggestion à : deviens.ce.que.tu.es333@gmail.com
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