Le sens de la vie
« Il est difficile au milieu du brouhaha de notre “civilisation” qui a le vide et le silence en horreur d’entendre la petite phrase qui, à elle seule, peut faire basculer une vie :
“Où cours-tu ?” »
Christiane SINGER
Chaque être humain a, chevillé au corps, le besoin de trouver un sens à sa vie. Je ne reviendrai pas sur les croyances religieuses qui rassurent face aux aléas de l’existence – la mort étant le dernier, le plus redoutable sans doute –, mais n’ont jamais été une nourriture qui nous libère de nos superstitions et de nos entraves en tout genre.
Je désire donc, en vérité, aller au cœur du sujet. Malgré la mort, à cause d’elle, et de la peur dans son sillage. En effet, si nous étions immortels la question de notre finitude ne se poserait pas. Nous serions, tout simplement. Ma mort, notre mort, celle de nos proches nous poussent donc à chercher un sens à l’incroyable : nous sommes là et nous ne serons bientôt plus. Croyants comme incroyants se sont cassé les dents depuis la nuit des temps sur cette étrange « anomalie ». Mais précisément, une chose m’apparaît avec évidence : toute réponse est désormais vouée à l’échec, à la relativité, à l’ignorance. Nous ne savons pas, et nous ne saurons pas – pas plus vous et moi, que les religieux patentés.
Plus de dieu « promesse de Vie éternelle » !
À défaut de certitude, il nous faut lâcher la question. Il nous faut abandonner la mort à son sort. Mieux, si nous désirons vivre l’instant présent, il importe d’abandonner notre peur de la mort. Et de consentir, désormais, à entrer dans le non-savoir malgré la question fondamentale, existentielle, vitale. Lâcher prise sur l’essentiel – le pourquoi de notre existence –, voilà incontestablement le plus dur, le plus redoutable, et le plus salutaire. Plus de dieu Créateur, de dieu Juge, de dieu surplombant le monde avec un projet sur chacun : plus de dieu transcendant et castrateur. Nous voilà enfin libérés des dieux, de leur main écrasante, de leur poids infernal. Mais, dans le même temps, là gît le redoutable de l’existence : plus de « dieu Amour », de dieu bienveillant et miséricordieux, de dieu au cœur de nos épreuves. Plus de dieu « promesse de Vie éternelle » ! Nous voilà obligés de renoncer à toute représentation, à nos vieilles idoles construites de mains d’homme, à notre besoin de maîtriser le sens de la vie – plus de dieu « bouche-trou », pour expliquer encore l’inexplicable : la souffrance et la mort.
Ne plus marcher dans les pas d’un autre
Allons ! Il nous reste l’essentiel, le terre à terre : nous inventer, nous découvrir, nous connaître et nous construire. Peu à peu, vaille que vaille. Pas après pas. Mais pas sans l’autre, impossible sans lui. C’est le lien qui me nourrit, me vivifie, me fait naître à la vie. Me relativise dans mes convictions, me remet en question et en marche. Me contraint au dépassement. Et je crois – parce que je le vis parfois, un peu – que notre monde intérieur change à mesure que nous nous pacifions. Avec soi et avec les autres. Et pour se pacifier, il est indispensable de se connaître. D’évider notre ego pour muer peu à peu vers le vrai, le beau, le réel, l’immanence et l’universel : le soi, ce noyau dur et inaltérable. Celui-là seul qu’atteignent d’aventure le poète, le mystique, l’humain réconcilié. Il n’est plus affaire de connaissance extérieure, d’époque, de lieu. Il est atemporel, déjà en soi. Il parle « droit » au cœur de chacun, de chacune. Charles Juliet, Christian Bobin, Christiane Singer, Jiddu Krihsnamurti sont de cette trempe. Tous ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, sont passés par la « grande épreuve » et ont consenti – malgré les angoisses et la solitude – à marcher sur leur propre chemin d’humanité. Celles et ceux qui ne ressentent plus le besoin de se mentir et de marcher dans les pas d’un autre.
Inéluctablement…
Lâcher les questions sans réponse, ne plus chercher le sens en dehors de soi. Christiane Singer, dans son livre Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?, sait le rappeler avec justesse : « Nombreux sont ceux parmi nous qui cherchent un sens à la vie. De toute vie, aussi escarpée et abrupte soit-elle suinte et coule le sens. Qui irait chercher le miel sur la falaise ? Folie bien sûr. Toute folie finit par s’avérer raisonnable quand on la cultive assez longtemps. Au gré des rencontres, des voyages, des retraites et des errances qui me tissent une vie, le même constat m’assaille : rares sont ceux qui s’en aperçoivent, mais tout sur terre suinte de sens. »
Désormais, le sens de l’existence se joue et se vit au creux de notre chair, de nos expériences, de nos rencontres. Le sens – de la naissance à notre mort – s’incarne. Il se vit dans le lien à soi et dans le lien aux autres. Tout est mêlé, enchevêtré, relations singulières. « La seule chose à la longue qui vaille le jeu et la chandelle est d’avoir aimé. Dans l’ordre de l’invisible, le fruit en est inéluctable », écrit encore Christiane Singer. C’est bien là l’essentiel à vivre, la cime de l’existence, la plus haute élévation de soi à soi et de soi à l’autre.
Et, pour ce qui est de la vie après notre mort, cela restera un « mystère » jusqu’au dernier jour.
Inéluctablement…
Pascal HUBERT
Donner du sens à sa vie : les clés de la psychologie existentielle (France Inter, 9/01/19)
La vie, la mort, l’univers et le reste ! (France Inter, 1/12/17)
Les chants de l’aube (Rtbf 10/01/19)
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