Mourir à soi, pour renaître enfin
« J’ai soif de cette eau là. »
Le Petit Prince
Je me suis rendu à l’enterrement du papa d’un collègue. Cela fait des mois que je ne me rends plus à l’église. Si ce n’est récemment lors d’un baptême dans la famille de ma femme, durant lequel le prêtre rappela que nous étions le fruit du péché originel. Passons.
La cérémonie des funérailles m’a profondément ému, et même touché. Cette mort qui nous attend tous et cette inconnue qui interpelle inévitablement. La sobriété du prêtre qui sut trouver les mots justes, loin des mots convenus, sachant que le défunt et sa famille n’étaient pas vraiment croyants. Sachant aussi les mésententes profondes qui les traversaient. Tout cela, mon collègue me l’avait confié lorsque la santé de son papa déclinait. Et, malgré une relation difficile, il lui rendra régulièrement visite au home. Il n’aime pas les conflits mon collègue, il est plutôt du genre à vouloir les aplanir. Le papa, banquier, était bon comptable, mais avait davantage de difficulté à entrer en empathie, à se rendre présent aux siens. Mais chacun ses failles cachées, ses errements, son histoire familiale n’est-ce pas.
Le prêtre commenta un extrait du Petit Prince et la cérémonie fut entrecoupée de quelques chansons modernes et à propos. Et puis vint le petit mot bien préparé de mon collègue. D’une voix ferme et posée, il énonça sans langue de bois les bons côtés, mais aussi les travers de cet homme son père. Son goût des voyages, mais aussi ses colères mémorables. Sa présence, mais aussi ses absences. Des mots justes, ponctués de « Maintenant, repose en paix papa ».
Et soudain, sa voix ferme dérailla, l’émotion prit le dessus. Dois-je dire que ce fut pour moi le moment le plus authentique, où les mots ne sont plus seulement des mots posés sur le papier, où le manque se vit dans sa nudité, où la peine peut enfin se dire ? Dois-je avouer qu’il m’a tiré quelques larmes ? Comme d’autres dans l’assemblée sans doute, j’ai songé à ma mort prochaine, notre naissance et notre fin si énigmatiques, mes propres difficultés relationnelles avec certains proches. Mais, plus encore, à cette nécessité de se transformer, de tendre vers la bienveillance et la réconciliation entre les êtres. Pour ne plus rester sur des rancœurs qui rongent de l’intérieur et se perpétuent sans fin, génération après génération.
Faire la paix avec soi, son enfance, son passé, sa famille, les autres. Cela m’a paru – m’apparut – soudain comme la seule voie à suivre. Non pas par crainte de Dieu, de l’enfer ou d’un quelconque sentiment religieux, mais par simple désir d’être véritablement soi. Être femme et être homme, c’est être authentiquement ouvert à soi et ouvert aux autres. C’est laisser descendre en soi plus grand que nos mensonges, nos jalousies, nos compromissions, nos colères et nos haines. Bref, plus grand que nos petitesses. Tant d’incompréhensions et de rancœurs dans tant de familles. Et lorsque la mort surgit soudain, il est trop tard pour la rencontre, pour poser des mots qui auraient pu apaiser et guérir la blessure.
Visiblement touché, il nous a remerciés pour notre présence à ses côtés. Mais il serait juste de le remercier aussi, pour cet instant qui nous recentre inéluctablement sur l’essentiel, nous rappelle que tout passe, que la vie n’est qu’un moment et que c’est à chacun et chacune de savoir ce qu’il souhaite laisser comme trace de son passage sur terre. Pour ma part, j’ai deviné qu’il n’est d’autre force intérieure que celle d’apprendre à aimer. C’est un chemin, parsemé d’embûches et de revers – ô combien –, mais c’est le plus noble de tous. Celui qui nous ouvre le cœur et nous fait grandir dans la rencontre de l’autre. Un instant, je vis mon collègue d’un autre œil, et j’en fus touché. C’est là, me suis-je dit, la fine pointe de l’être.
Merci à toi l’ami, tu m’as désarmé.
Pascal Hubert
Magnifique chanson de Mylène Farmer, dédiée à son frère décédé :
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