Lettre à ma femme

Lettre à ma femme

 

« On ne se bat bien que lorsque l’on s’aime. On ne s’aime jamais autant que lorsqu’on est aimé. On ne peut véritablement s’aimer si l’on n’aime pas. »

Antoine Paje

 

Il est des mots plus difficiles que d’autres à écrire. Ces mots qui font moins appel à l’intelligence de la raison qu’à l’intelligence du cœur. Ces mots qui ont pris le temps de mûrir après d’innombrables tempêtes. Celles qui m’avaient fait perdre la certitude de revenir un jour à la vie. Ces mots qui ne se paient plus de mots. Ceux-là qui ont traversé le drame de l’enfance, la blessure impensable, les portes de l’enfer. Ces mots qui ont appris à ne plus mentir, les plus dénudés d’entre tous.

Alors, que te dire après ces années de mariage ? Que je ne suis pas un homme parfait, c’est certain. C’est même le moins que je puisse te dire. C’est qu’aimer n’aura jamais été une évidence, pas même de savoir qui j’étais en vérité. C’est que les deux sont inextricablement liés. J’ai couru tant de fois dans la nuit, en solitaire et dans le froid. Pour de vrai et dans ma tête. Et j’ai pleuré tant de fois, dans l’espoir de vivre un jour. Que vivre à deux, trois, quatre puis à cinq relevait d’un défi insensé. J’ai tellement dû apprendre ce que je n’avais jamais été. J’ai tellement dû apprendre pour croire que la vie était pour moi aussi. C’est que j’ai désiré mourir tant de fois, au plus froid de ma nuit.

C’est une chose terrible que celle-là. Ne plus courir après des chimères, renaître à partir de l’abîme. Pour tenter d’aimer, encore et encore. Mais que serais-je devenu, sans ces quelques mots déterrés à la sauvette, au détour d’une lucidité, après d’innombrables nuits sans lueur ? C’est une chose mortifère d’avoir eu un père schizophrène, une mère silencieuse qui aura manié le déni à la perfection. Mais, cela dit en passant, je leur en veux moins. À chacun sa vie et ses enfers, n’est-ce pas ?

Je sais que, eux aussi, ne sont pas seulement cela. Pas entièrement responsables de ce que, eux non plus, n’ont pas reçu – l’amour sans condition. Chacun devient, pour partie, ses propres parents. Et, de génération en génération, le malheur parfois se perpétue, dans la chair et dans l’esprit. Longue chaîne interminable. Jusqu’à couper un jour ces liens mortifères ou mourir, un jour où hériter encore du passé devient infernal. Revenons donc au présent incroyable, à l’avenir incertain.

C’est que j’ai enfin compris quelque vérité sur la vie, sur toi en particulier. Je cherche moins en toi le problème qu’en moi la solution, et inversement.  Je vois en toi l’amour que je n’ai pas connu, que je n’ai pas su recevoir. Je vois en toi l’amour que tu t’es efforcée de me donner et que je n’ai pas su t’offrir en retour. Je vois en toi la persévérance qu’il t’aura fallu, malgré tout. Et je ne désespère plus de vivre, de muer pour sortir de l’impasse. De renoncement en renoncement, à cet idéal imaginaire, logé au fond de mon être.

À ma femme, donc. Pour lui dire, en finale, toute ma gratitude. D’avoir su mener, si seule parfois, la barque de notre frêle existence. Celle de notre famille si imparfaite, mot après mot…

Pascal HUBERT

 

 

 

 

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