À force de creuser
À force de creuser la « foi », je l’ai perdue. Mais peut-on réellement perdre la foi, comme l’on perdrait ses clefs ? Est-il alors concevable de la retrouver, comme l’on retrouverait son bien ? Honnêtement, non. Car il s’agit d’abord d’être honnête. Avec soi. Si j’ai perdu une chose, ce sont mes illusions. Il est impossible d’imaginer seul tout le corpus doctrinal. Il ne peut s’enseigner que du dehors, jamais monter du dedans. Et c’est précisément là que le bât blesse : comment croire honnêtement à l’irrationnel ?
Comment croire à ce que je ne peux expérimenter ici-bas ? Je veux dire : dans ma chair, au creux de mon être, à l’intime de l’intime, à la jointure de mes os. Comment vivre sur terre dans un monde imaginaire ? De fait, j’ai perdu la « foi », mais comme l’on perd ses idées reçues. Mais j’ai découvert infiniment plus grand, plus beau, plus authentique. J’ai découvert mon humanité, avec ses forces et ses faiblesses. J’ai découvert l’autre tel qu’il est. J’ai découvert que, l’un et l’autre, nous étions en chemin. J’ai découvert qu’il est bien plus difficile de s’humaniser que de pratiquer fidèlement sa religion.
Si j’ai perdu mes représentations d’un au-delà, c’est pour mieux m’incarner ici-bas. J’ose l’affirmer : j’ai vécu une conversion à l’envers, un déconditionnement, une incroyable aventure intérieure. Telle une épreuve de vérité. L’homme nouveau n’est pas l’homme religieux. L’homme nouveau est l’homme intérieur. Il a rejoint son propre fond, il a cessé de se fuir, il a cessé de s’apitoyer sur sa « misère », il a cessé de faire semblant. Il a repris sa vie en main, il a appris à faire corps avec lui, il s’est regardé en face. Il a appris à s’aimer intégralement et non plus à se haïr à coups de « Je suis un pauvre pécheur ».
Il apprend de ses erreurs. Il ose se remettre en question. Il a déritualisé sa vie. Pour la seule raison que sa vérité intérieure l’exigeait. Sur cette voie, il se peut que nous soyons seuls, incompris, voire jugés par certains croyants. Cette voie n’est certes pas la plus facile. Voilà une raison suffisante pour la préférer à toute autre. C’est qu’il s’agit de se libérer d’un monde mental qui n’est pas le nôtre. N’est-ce pas là que gît la véritable grandeur de tout être humain ? « Tant que tu n’as pas fait tien/Ce – MEURS, MEURS ET DEVIENS/Tu n’es qu’un hôte morne/Au sombre de la terre » (Goethe).
Pascal HUBERT