De l’emprise à la liberté

De l’emprise à la liberté

 

« Un prêtre ami, le père Baudiquey – un passionné qui connaît la peinture et la littérature mieux que personne – a observé qu’il est plus facile de croire en dieu que de croire en soi-même. C’est là une vérité qu’il n’est pas inutile de méditer. »

Charles Juliet

 

Je vais vous dire. Il y a comme un trop-plein dans ma tête. Tous ces scandales qui déferlent les uns après les autres. J’avais fini par prendre conscience du fossé entre le dire de l’Église et le faire, mais de là à imaginer le gouffre abyssal. Mais, comment aurais-je pu ? Le secret était si bien gardé et, une fois encore, ce sont les médias qui nous révéleront « les affaires » : Grâce à Dieu, d’Ozon; Les esclaves sexuelles de l’Église, de Quintin et Raimbault; Sodoma, de Martel. Entre autres…

Mais ce qui me heurte, au fond, ce n’est pas tant les abus que les causes qui les perpétuent, et remontent enfin à la surface : culture du silence, abus de pouvoir, cléricalisme, doxa mortifère. Et, ce qui dans le même temps me sidère, dois-je le dire : c’est de voir tous ces braves croyants, telles des brebis soudain désemparées, se raccrocher, encore et malgré tout, à une barque en train de couler. Parce que les scandales, aujourd’hui visibles de tous, ne datent évidemment pas d’hier. Ils sont consubstantiels au pouvoir, à l’absence de toute discussion possible. La Vérité descend toujours du Haut de la hiérarchie vers le bas.

Et, aujourd’hui, face à ces abus innombrables, que voit-on ? Ce brave « peuple de Dieu » répond, encore et toujours : « Présent ». Le pape parle de l’église comme d’une « mère aimante » (motu proprio) ou d’une épouse en voie de purification par le Seigneur, d’abus du clergé comme étant le fait de Satan. Bref, l’église tente encore de taire les causes profondes, se montrant incapable d’appeler « un crime, un crime ». Elle pense, encore et toujours, que la solution se trouve dans la prière et la repentance, dans la foi et la Miséricorde de Dieu. Que « Sans Lui », « nous ne sommes que poussière » et qu’en prendre conscience « sauve de l’hypocrisie » et « des apparences ».

Encore et toujours un langage faussé, une fuite des responsabilités, un monde imaginaire qui ne résout rien. L’église n’a cessé de fustiger les mœurs de la société, camouflant ses dérives et, que voit-on ? Oui, une fois de plus, le brave « peuple de Dieu » répond : « Me voici ! » Au nom même de ce mantra enseigné par l’église : « L’église, c’est le Christ. Quitter l’église, c’est quitter le Christ. » Là se trouve le nœud gordien, l’infernal cercle vicieux : aimer l’Église, en dépit de tout, serait garder la « foi »…

Bref, face à l’énormité des scandales qui éclaboussent le clergé, c’est Satan qui serait la cause du Mal et le Seigneur qui serait en train de purifier son Épouse… Une fois encore, le scandale est sacralisé, la vérité manipulée, les victimes instrumentalisées. Les fidèles, priés de rester fidèles.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais une église qui prétend être fondée sur Dieu se devrait plus humble et plus digne. Si pas exemplaire, au moins montrer l’exemple. Or, je ne vois que totalitarisme et perversion narcissique dans cette Institution toute puissante, qui aura su marquer de son emprise les fidèles. Certes, l’église se réforme et se réformera encore, et les catholiques – les plus progressistes, à tout le moins – tenteront d’œuvrer en ce sens. Mais pour se rendre où ? Pour intégrer dans le clergé les femmes actuellement au service ? Pour changer quelques virgules au Credo ? Pour tenter de modifier quelques lignes du corpus doctrinal construit, depuis les origines, par des hommes ?

Est-ce bien sérieux ? Va-t-on seulement œuvrer pour perpétuer une religion foncièrement patriarcale, fondée sur un pouvoir arbitraire sur les « âmes » ? Peut–on sincèrement refonder à la racine une Communauté religieuse déviante ? Dès lors, comment sérieusement l’envisager avec l’église, combien plus ancienne, puissante et sclérosée ?

Lorsque j’entends dire que l’église est sur la bonne voie, qu’elle vivrait un « enfantement », je me demande si tout ce petit monde religieux vit bien sur terre. Commencer à enfanter après vingt-et-un siècles d’abus en tout genre ? Mais, que fait-elle de tous ces fidèles qui ont sérieusement cru en elle ? Que fait-elle de tous ces massacres qu’elle aura perpétrés au nom de Dieu ? Que fait-elle de sa Vérité immuable enseignée depuis des siècles ? Et, que fait-elle donc de tous ces hérétiques qui lui auront rappelé cent fois qu’elle faisait fausse route ?

Suffirait-il, soudain, d’admettre son cléricalisme, de reconnaître son omerta, d’indemniser ses innombrables victimes pour se prétendre, encore et toujours, voulue par Dieu, apostolique, sainte et universelle ? On efface tout et on recommence ? Réfléchissez-y un instant : vous êtes vraiment sérieux ? Ce qui se vit dépasse mon entendement, me choque et me révolte ! Et les femmes comptées pour rien dans l’église, tenues en esclavage, juste bonnes pour le service répondent : « Nous voici ! »

Au nom du « Christ » ? Mais cette doxa, une fois encore, est celle de l’église, celle-là même qui aura engendré ignorance, peur, dérives et soumission sans fin. Dieu n’a pas créé l’humain, ni Ève ni Adam. Pas de péché originel donc, et pas davantage de Salut. Et il n’y a pas de « Parole de Dieu » ni de Jésus ayant fondé une Église, encore moins avec ses prêtres, évêques et pape. Toute cette « sainte panoplie » est affaire de mythe et de pouvoir. De sacré mal placé, de mensonges savamment élaborés au fil des siècles. Que comptez-vous faire de tout cela, braves croyants ?

Quelles seraient donc ces réformes salutaires dont l’Église aurait tant besoin ? Quelle énième réinterprétation des « textes sacrés » ? Quel Christ ou quel Jésus de l’histoire ? Un nouveau, un ancien jamais découvert ? Tout était donc faux, déviant depuis les origines ? S’agirait-il, en réalité, de réinventer une religion ? De nous faire miroiter un « âge d’or » à retrouver ? Et de nous mener, une fois encore… en bateau ?

Non, il ne s’agit plus de sauver les meubles – ce fameux « trésor de la foi » !, mais de partir à l’aventure, en liberté. Voyez le monde et ses innombrables croyances, voyez les dieux auxquels l’humanité n’a cessé de se soumettre depuis la nuit des temps. Changeons donc de paradigme. Ne sachons plus, comme nous n’avons jamais su en vérité. Osons enfin la lucidité et l’humilité. Vivons sans savoir ce que demain sera, encore moins après notre mort. Ne plus savoir n’est pas un péché, douter est faire preuve d’honnêteté. Nous n’avons jamais su, nous avions seulement inventé un Dieu « bouche-trou ». Pour conjurer notre mort prochaine, notre incapacité à comprendre comment et pourquoi nous sommes ici. Et pourquoi il nous faudra tous mourir.

Moi qui fut catholique de naissance, assidu à la messe du dimanche, pétri de culpabilité judéo-chrétienne, me confessant de tant à autre pour quelque broutille pourtant bien éloignée de tout harcèlement ou viol. Moi qui ai évangélisé dans les rues et catéchisé les enfants, je n’ai plus pu croire à toutes ces invraisemblances, ces enfantillages d’un autre âge. J’ai cherché la vérité en moi, j’ai lu, j’ai douté, j’ai remis en question, j’ai écrit de jour comme de nuit. C’est finalement par fidélité à ce qui montait en moi que j’ai abandonné ces chimères, nullement par infidélité à Dieu. Comme trop longtemps enseigné par le « petit catéchisme ». Il n’y a pas de « mystère de la foi », il y a seulement ce monde visible. S’en départir, c’est toujours retomber dans la superstition. Ce Dieu colérique tantôt dans l’orage, tantôt dans le sida, tantôt dans la mort elle-même.

Je suis fatigué, profondément fatigué par tous ces mirages, ces vérités religieuses plus boiteuses les unes que les autres. Il n’est véritablement qu’un seul chemin, celui qui grandit enfin l’homme et la femme, quelle que soit l’issue de cette vie : vis ta vie comme s’il n’y avait rien après. Aime ton prochain, comme si le ciel n’existait pas. Crois en toi et en autrui, comme s’il n’y avait pas de dieu ni de sens à trouver dans cette vie ici-bas. Ose enfin te faire confiance, libère-toi de tes conditionnements. Ne crois rien que tu n’aies d’abord expérimenté. Non, je ne vois pas d’autre chemin que celui-là.

Et je ne vois plus quel Dieu pourrait encore condamner cela. Pourquoi devrais-je encore dénier ce que je vis, ce qui jamais ne se prouve, mais serait prétendument « parole d’Évangile » ? Après avoir examiné ces vingt-et-un siècles de croyances religieuses, plus sottes les unes que les autres, je suis fatigué. Fatigué de leur accorder encore foi. Au nom de cette raison qui me fut donnée à la naissance, tant de fois ignorée, et dont je compte désormais me servir. Pour rejeter toutes ces contre-vérités, inventées au nom de dieux fabriqués de main d’hommes.

Mais, que l’emprise des religions est sournoise, durable et collective ! Et dire qu’il aurait suffi de si peu, pour ne rien connaître de leurs dogmes. Pour vivre en liberté, et ne plus entendre ces sempiternels religieux qui, aujourd’hui encore, prétendent parler au nom de leur Dieu… Oui, il aurait suffi de si peu : naître ailleurs ou en un autre temps, se faire simplement confiance ou n’avoir jamais croisé l’un de ces sacrés donneurs de leçon.

Combien de scandales et de mensonges encore, avant que le « peuple de Dieu » passe enfin de la religion au grand vent de l’aventure humaine, de l’emprise à la liberté ? Quand donc les croyants briseront-ils enfin le charme qui les retient, ce fameux « sacré de Dieu », inoculé par les « successeurs de Pierre » et leur clique vêtue de pourpre ?

Je vais vous dire. Il y a comme un trop-plein dans ma tête. Tous ces scandales qui déferlent les uns après les autres – mais pas que, je l’ai dit. Je ressens un énorme dégoût, une profonde tristesse et lassitude, devant cet éternel recommencement…

J’en terminerai donc par une question, si simple en apparence : vivrons-nous un jour ensemble, ou devrons-nous encore supporter longtemps ces archaïsmes religieux ?

Pascal HUBERT

 

Prions…

 

 

« L’âme… je n’emploie jamais ce mot. Je lui ai substitué le spirituel. En dehors de toute croyance religieuse, ce mot désigne pour moi : – l’aventure de la connaissance de soi, – la mutation de la naissance à soi-même, – l’observance d’une éthique, – le besoin de s’élever, de faire grandir le meilleur de soi. »

Charles Juliet

3 réponses sur « De l’emprise à la liberté »

  1. BRAVO BRAVO Je vous rejoins à 100%. Pour moi les laïcs valent 1000 fois mieux que les curés ! Je suis une ancienne manipulée moi aussi.

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  2. Bonjour, je vous remercie pour votre commentaire encourageant. Grâce au partage de ce billet sur le site Facebook de la « Parole Libérée », il a été visionné près de 700 fois. Il est temps que les victimes de l’église osent, de plus en plus, libérer leur parole. Bonne continuation.

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