Retrouver l’enfant en soi

 

Retrouver l’enfant en soi

 

« Un enfant qui n’arrive pas à vous parler, il se tue lui-même. »

Grégoire Delacourt

 

J’avais perdu l’enfant, comme on perd la tête. Un souvenir lointain, disparu dans la brume.

À force de ne pas savoir, il était devenu mutique.

La vie était un poids, telle une meule au cou. Le sourire factice, pour les photos de famille.

Personne n’a rien dit, personne n’a rien vu.

Grandir, étranger à soi-même. Au monde qui vous agresse.

Des rêves de fuite. Un danger sans nom dans la vraie vie.

Tous les mots sonnent faux. Si faux.

Une vie qui se consume à survivre. Pas de désir, de projet, d’avenir.

Faire, faire encore. Mais être, comment faire ?

Profonde est la fracture. Mourir vite, si possible.

La barque est solidement arrimée, le lien avec autrui rompu.

Le noir pour ciel bleu.

Renaître ou mourir. Besoin vital.

Pas d’autre choix, choix impossible.

Emprunter le chemin de la nuit, de la déconstruction, de la dénudation.

De la solitude qui ronge, de la souffrance qui lacère.

De la descente. En soi, en enfer.

Personne n’a rien dit, personne n’a rien vu.

Impossibilité d’être soi, de comprendre ce qui se vit.

Traversée de nuit.

Brèves trouées, liens ténus. Remontée, puis effondrement.

Espoir perdu. Recommencer, encore.

Tel Sisyphe.

Jusqu’à n’en plus pouvoir. De nuit, toujours.

Tout remettre en question. Enfance. Parents. Religion.

Voyager léger, se dépouiller. Terrible trahison, croit-on.

Incapable. Raté. Nullité. Solitude. Honte de soi.

Creuser en soi. Écrire des mots qui touchent.

Une voix ténue dans la nuit.

L’enfant est toujours là. Vivant. Patient. Il attend.

Voilà le chemin. Le rejoindre. L’embrasser. L’aimer.

Lui tendre la main.

Sa force, sa persévérance.

Malgré l’abandon originel.

Puis le hasard d’une ou deux rencontres.

Des êtres passés par .

Des mots vrais, des mots inespérés.

Des mots qui vous rejoignent enfin :

Ni l’une ni l’autre de tes deux mères n’a eu accès à la parole. Du moins à cette parole qui permet de se dire, se délivrer, se faire exister dans les mots. Parce que ces mêmes mots se refusaient à toi et que tu ne savais pas t’exprimer, tu as dû longuement lutter pour conquérir le langage. Et si tu as mené ce combat avec une telle obstination, il te plaît de penser que ce fut autant pour elles que pour toi.

Tu songes de temps à autre à Lambeaux. Tu as la vague idée qu’en l’écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu’elles ont toujours tu.

Lorsqu’elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu vois s’avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots

ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance

ceux et celles qui s’acharnent à se punir de n’avoir jamais été aimés

ceux et celles qui crèvent de se mépriser et de se haïr

ceux et celles qui n’ont jamais pu parler parce qu’ils n’ont jamais été écoutés

ceux et celles qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie ouverte

ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur gorge

ceux et celles qui n’ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse

                                                                                                          Charles Juliet

 

Une espérance folle dans la nuit. Un lien, ténu.

Ne pas lâcher, chaque clarté, chaque remise en cause, chaque aveu te sort du gouffre.

Renaître est possible !

Retrouver l’innocence de l’enfant. Sa légèreté. Son sourire. Sa confiance nue.

Encore et encore.

Un à un. Couper les liens mortifères.

Ne plus dépendre, ne plus attendre d’autrui.

La mère mutique ne changera pas. Le père fou ne reviendra pas.

La souffrance abyssale est là, elle a envahit corps et esprit.

À failli, à son tour, me rendre mutique et fou.

Maladie du corps. Maladie de l’esprit.

Se retourner sur le passé.

Je comprends l’abîme, le désespoir. Je sais la nuit et le long chemin. Les tentatives avortées. La persévérance. L’envie d’en finir. La souffrance qui dénude jusqu’à l’os.

À en crever.

Je sais le mensonge des parents, les croyances qui ne collent pas avec la vie.

Ajoutent au fardeau.

Je sais et ne me terrerai plus. Je ferai entendre ma voix.

Celle qui choque et provoque. Celle qui vit et qui aime.

De mutique à mutin. De confus à lucide.

Je ris. Je vis. Je parle. À l’inconnu en rue.

Je retrouve l’innocence de l’enfance.

Le masque tombe, le ciel est moins sombre, la nuit moins obscure.

Je rejoins l’esseulé, le mutique des mots, le désespéré de vivre un jour.

Je ne rase plus les murs. Je regarde le monde, les gens autour.

J’ai tout perdu. Les apparences. Les convenances. Le besoin de reconnaissance.

Toutes ces images fabriquées de main d’hommes. Les dieux justiciers aussi.

Seul celui qui a traversé l’abîme peut comprendre l’abîme.

Renaître est à ce prix.

Incalculable.

J’ai retrouvé l’enfant, comme on retrouve un trésor perdu. Un ami lointain, recouvré dans la clarté du jour.

Désormais, je sais le chemin.

 

 

À toi, mon ami, mon amie qui désespère.

Lutte, aime, et ne renonce jamais !

 

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