« Écoute ton cœur et va. Le chemin d’un prêtre… autrement » de Christiane VIKA

Écoute ton cœur et va

« Mon bel amour, mon cher amour,

ma déchirure

Je te porte dans moi comme un

oiseau blessé

Et ceux-là sans savoir nous

regardent passer… »

Louis Aragon/Georges Brassens

Je termine le petit livre d’un bel amour. D’un amour interdit. Non qu’il soit inédit ou vécu sous le régime des mollahs. Un amour « normal », au vingt-et-unième siècle, en Occident. Mais un amour vécu entre une femme et un homme censé demeurer célibataire par vocation. C’est là qu’il aurait fallu choisir. Se donner tout à Dieu aurait dû exclure tout amour pour une femme. C’est là qu’ils ont failli. Je songe à cette mini-série, sulfureuse à sa sortie et qui connut un énorme succès : Les oiseaux se cachent pour mourir. Le père Ralph de Bricassart lutte contre la tentation. Par fidélité à sa vocation sacerdotale, avant de succomber à sa folle passion pour une femme. Un scandale hypocrite pour les âmes pures…

La question qui traverse Écoute ton cœur et va est simple et douloureuse à la fois : comment s’aimer lorsqu’on doit rester caché ? Mais c’est pourtant de liberté dont il s’agira, envers et contre tout. Envers et contre la Tradition catholique. Un livre-témoignage que l’autrice, médecin retraitée, a désiré écrire et partager après la mort de son tendre amour. Afin de briser le silence de l’hypocrisie et faire reconnaître une réalité toute simple : un homme peut parfaitement s’engager dans un ministère sacerdotal et aimer une femme, sans jamais faillir ni à l’un ni à l’autre. Et une femme a parfaitement le droit de vivre avec un prêtre, sans devoir renoncer à une vie de famille. En effet, l’amour humain ne permet-il pas de s’accomplir et de mieux comprendre autrui sur son propre chemin d’humanité ?

Écoute ton cœur et va… Un livre qui parle d’amour et de souffrance. Pour elle, comme pour lui. Amour irrépressible qui se dévoile au fil des pages, de même que les souffrances partagées et surmontées. Chacun des quatorze chapitres du livre s’ouvre par un petit texte bien à propos, de Mannick à d’Ormesson, en passant par Brel, Barbara ou encore Aragon et Ferrat.

Ainsi, avec Mannick, tout vient, comme souvent, de l’enfance et d’un long silence… « Car moi aussi, je venais du fond de mon enfance. Et je venais de loin ! D’une enfance qui s’était fracassée contre la dureté de la vie, la vie des adultes », relate d’entrée de jeu notre autrice. Une vie familiale sans les gestes d’affection du père, seulement ses colères et les pleurs de sa mère. Elle aurait tant désiré une vie où elle n’aurait plus peur… Une vie familiale « hors norme » donc, mais où rien ne doit transparaître à l’extérieur. Alors, Christiane fera pareil au-dedans : « Cadenassée… Pas de larmes… Le silence… »

Avant de le rompre avec celui qu’elle rencontrera au scoutisme. C’est l’étincelle immédiate, mais discrète encore. Elle étudiante en médecine, âgée de vingt-deux ans. Lui, âgé de vingt-sept ans, ordonné prêtre voici à peine un an. « Je me confiai à toi. Tu compris tout : ce que je te dis et ce que je ne pus te dire, n’arrivant pas à le formuler… » Après l’amitié naissante et la confiance installée, après la mort du père, l’amour réciproque se déclare et la vie « commune » se fait évidence.

« Je ne connaissais rien de l’amour. J’en eus à cet instant la révélation fulgurante et éblouissante, mais qui me laissa interdite et bouleversée. » Elle avait rêvé de couple, d’enfant, de vie de famille. Et lui, de son côté, ne pouvait plus concevoir sa vie sans elle, ni sans pouvoir exercer son sacerdoce en annonçant le Jésus de l’Évangile. Situation déchirante, dilemme « entre sacerdoce et mariage ». Mais il était clair qu’il leur était impossible de poursuivre leur route comme si de rien n’avait été. C’eût été « folie destructrice »…

Nous étions alors à la fin des années 1970, début des années 1980, après le concile Vatican II. Alors germe chez tant de croyants l’espoir d’un changement. La parole se libère, des prêtres quittent le sacerdoce pour vivre au grand jour leur liaison cachée. Leur souffrance est évoquée dans des lieux d’ouverture, de même que le sexisme dans l’Église, les dogmes et principes immuables refusant toute évolution… Parmi ces lieux d’ouverture : « Femmes et Hommes dans l’Église », dont le but était d’œuvrer pour la parité dans l’Église et la fin de la domination masculine. C’est que l’espoir fait vivre, l’espoir d’un changement qui permettrait aussi de vivre son amour au grand jour. Mais, rien ne bougeait…

Alors, Christina Vika perd tout espoir de changement et, dans la douleur et la révolte, finit par accepter que sa vie commune demeure cachée… jusqu’au temps de la future retraite. Alors commença « une route d’ombre et de lumière », sur laquelle il fallut avancer pas à pas. Affronter et assumer d’abord la clandestinité, malgré les parents, amis communs et paroissiens. Mais, peu à peu, le cœur et le corps se libèrent, jusqu’à l’union charnelle. Cet amour ne supprima pas la souffrance, mais leur donna « la force de la vivre et… la joie par surcroît… » Et elle de lui demander : « Lorsque je ne suis pas avec toi, quand penses-tu à moi ? » Sa réponse, pleine de tendresse : « Tout le temps… » Et d’ajouter : « Tu es ce que j’ai de plus cher au monde… » Un amour vrai, fait de réciprocité.

« Quand on a que l’amour », chantait Brel. Et, entre deux séparations, la joie extraordinaire de l’attente. Cette attente fiévreuse des retrouvailles. Et ces lieux de prédilections où se retrouver libres, ensembles, à l’abri des regards. « Ces haltes qui furent des temps bénis… » Où le cœur danse, et le corps suit. Et cette joie explosive, qui irradie les uns et les autres sur son passage. Comme cet homme, artiste peintre, qui dira au détour d’une conversation : « Vous êtes beaux tous les deux… » Votre couple irradiait… France, Italie, Autriche… Vous voyagèrent, de rencontre en rencontre, de petits bonheurs en petits bonheurs… Sans oublier ce lieu magique pour vous, délicieusement enfantin et libérateur : Disneyland Paris. Avant le retour et l’arrachement, recouverts d’un douloureux silence.

Ce bonheur qui vous habitait. L’un et l’autre, l’un à l’autre. Ce bonheur contagieux, à partager… « C’est ainsi que je peux affirmer, sans me tromper, que ce bonheur que nous donna notre amour, était au cœur de ta vie, faisant de toi le prêtre magnifique que tu fus », écrit encore Christiane Vika. Cet amour imprévu qui bouleversa tout, qui fit du prêtre, aimé par une femme, un HOMME. « Je ne serais pas l’homme que je suis maintenant, si tu n’avais pas été là, si tu n’étais pas là. » En retour, il la fit femme, pleinement… désireux que cette femme soit heureuse, pleinement. Un amour si fort, qu’il en devient parfois déchirant… « M’aimer ne t’a pas fait aimer moins les autres, mais les aimer plus. » Mais voilà, cet amour, au lieu d’être témoignage de vie et de joie, doit rester caché…

Cet HOMME qui écrira : « Je suis prêtre depuis presque 50 ans. J’ai essayé de ne jamais être un fonctionnaire du culte, mais avec mes limites et mes pauvretés, d’être un témoin de Jésus-Christ et un artisan de lumière et d’espérance, pour notre monde d’aujourd’hui, dans la solidarité et la proximité. » Il rêvait d’une Église différente, qui ne vive pas d’une Tradition figée, loin du vécu des gens, mais au contraire proche de leur vie, de leurs préoccupations et de leurs espoirs… Et notre autrice d’en témoigner : « Tu avais le don extraordinaire de toucher en plein cœur par ta parole ! Aucun de ceux qui t’ont entendu, croyants ou non, entrés exceptionnellement à l’église pour une cérémonie, des funérailles souvent, aucun n’y est resté indifférent ! »

« Tu espéras toujours en l’Église… Il n’en fut pas de même pour moi. » Médecin du travail, parmi ces milliers de consultations, Christiane Vika recevra beaucoup de confidences, touchant à de nombreux domaines. Dont la sexualité et le contrôle des naissances. Et d’évoquer la position rétrograde de l’Église en la matière. Mais également concernant l’homosexualité, perçue par Jean-Paul II comme une « faute morale », un « péché » ou une « maladie ». Et le mariage homosexuel comme étant la « nouvelle idéologie du mal ». Sans parler du pape François, voulant confier les enfants homosexuels à la psychiatrie… Aussi, notre autrice finit par ne plus pouvoir faire sienne une Église qui refuse d’évoluer et qui prétend détenir seule la Vérité… Une Vérité qui devient de moins en moins audible, de surcroît pour la femme qu’elle était devenue, au statut bien peu enviable…

Et de dénoncer le célibat obligatoire et la sacralisation désincarnée du prêtre ! Et d’affirmer que « les multiples scandales sexuels, pédophiles particulièrement, mais pas seulement, qui peu à peu viennent au jour, devraient inciter l’Église à plus d’humilité et de réalisme ! » Devant tant d’immobilisme, Christiane Vika perdit donc une nouvelle fois espoir… Avec cette immense interrogation : « Où était Dieu dans tout cela ? Où était-il ? »

Ainsi passèrent les années, avec à l’horizon, ce temps de retraite où ils pourraient enfin vivre au grand jour et témoigner de leur amour ! C’est alors que l’inimaginable arriva…

Pascal HUBERT

RÉSUMÉ du livre :

Ceci n’est pas une histoire d’amour comme les autres. Elle, bientôt médecin. Lui, devenu prêtre depuis peu. Eux, à l’aube de leur vie d’adulte, porteurs de tous leurs espoirs en cette vie. Ensemble, un amour irrépressible qu’il leur était impossible d’écarter. Dès leur rencontre, la passion qui les unit les entraîne rapidement sur le chemin du bonheur et de la joie, malgré les peines et la douleur qu’elle engendre.

Comment s’aimer lorsqu’on doit rester caché ? Une oeuvre authentique qui met en lumière la réalité autour du célibat des prêtres. L’amour de Dieu et l’amour de l’autre apparaissent comme la raison et la solution de cette peine dans ce récit bouleversant qui regorge d’espoir et dévoile une vérité devant être entendue. L’auteure, médecin retraitée, seule maintenant – car ainsi en a décidé prématurément le cancer – brise ici le silence entourant le célibat des prêtres dans l’Eglise catholique.

Elle livre le témoignage d’une vie lumineuse de prêtre, embrasée par sa foi et par un amour humain, dans l’espoir qu’advienne le jour où ressentir un appel à un ministère sacerdotal s’accompagnera de la liberté pour chacun (ou chacune) de vivre ce ministère dans le célibat ou non.

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2 réponses sur « « Écoute ton cœur et va. Le chemin d’un prêtre… autrement » de Christiane VIKA »

  1. Coucou Pascal

    Un beau récit sur une réalité amoureuse existentielle déjà contée par d’autres femmes de prêtres, notamment par les membres de l’association française Plein Jour.
    Ce type de lien amoureux, n’est pas seulement spécial de par la dimension religieuse d’un des deux protagonistes.
    Mais ce type de lien engage les personnes différemment au plan relationnel.
    Le rapport de couple ne peut pas s’établir sur le même registre qu’un couple classique qui se voit tous les jours.
    Il faut donc sortir du cadre habituel pour adopter d’autres codes, d’autres façons d’aimer aussi.

    Le plus problématique, c’est quand les enfants arrivent dans ce type de couple et que madame doit assumer seule ou presque. L’absence récurrente de l’aimé pour faire face au quotidien, qu’il soit rude ou heureux, a souvent raison d’une belle histoire d’amour. A moins que le prêtre décide de rompre ses voeux et d’assumer paternité et vie conjugale (ce qui veut dire aussi trouver une formation, un travail pour ne pas être à charge de la compagne).

    Sans enfants, c’est sans doute un peu plus facile de durer dans une telle situation.

    Je remarque que si jusque dans les années 80-90, beaucoup de femmes compagnes de prêtres, ont accepté un couple clandestin perpétuel, celles d’aujourd’hui, mettent plus facilement le marché en main au prêtre avec qui elles partagent un amour profond. Elles s’affirment davantage dans la relation. Sont moins soumises. Donc les prêtres soit choisissent la prêtrise et la relation amoureuse se brise progressivement. Soit ils décident d’assumer pleinement le lien amoureux et quittent la prêtrise.Soit les circonstances les y poussent.

    Je pense notamment à Léon Laclau et Marga, bien connus ici.

    Le problème de l’institution est qu’elle sacralise l’état sacerdotal comme une fonction masculine uniquement et dégagée de tout engagement amoureux avec une femme.
    L’institution a un énorme problème avec les femmes. Avec leur corps, leur sexualité, leur expression. L’institution a besoin de les voiler, de les dominer, de les diriger entièrement à tous les niveaux pour se sentir exister.
    Psychanalytiquement, il y a un travail monstrueux à faire institutionnel sur le thème la femme, la mère. Un problème non résolu pour les hommes du clergé. Problème oedipien peut-être???
    Immaturité affective, psychologique, c’est plus que certain.
    Il y a je pense chez beaucoup, énormément de peur des femmes, du sexe, de l’amour.
    Le lien à Dieu permet de tenir à distance, d’une façon idéaliste et fantasmatique le lien affectif et amoureux.
    Et lorsque brutalement, ces hommes tombent amoureux et encore plus d’une femme…c’est le cataclysme dans leur vie.
    Ils se définissaient préalablement comme intouchables, imperméables à l’amour humain. Et pof, ça leur tombe dessus. Comment gérer? Comment accepter ça? D’une certaine façon, c’est déchoir pour eux d’une espèce de fantasme de toute-puissance spirituelle. Ils retombent dans le lot commun et ne serait-ce que cela…c’est compliqué à accepter.
    Leur demander d’abandonner la prêtrise qui les consacre en tant que demis-dieux dans une forme de statut privilégié à partir du moment où ils se contentent d’une relation amoureuse fantasmatique et spirituelle, c’est comme leur demander la lune.
    Beaucoup veulent le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la compagne.
    Ainsi ces hommes n’affrontent pas leur dualité, leurs conflits intérieurs et leur problématique personnelle. Mais trouvent un compromis qui ne les mouille pas réellement et leur permet de profiter de tout, sans engagement plein et entier.
    Et c’est un compromis qui leur montre qu’ils ne sont pas de purs esprits comme ils le prétendent et que donc, ce que l’institution exige d’eux au moins en paravent social et religieux, n’est qu’une immense hypocrisie.
    Qui ne tient que parce que si elle n’existait plus, des femmes pourraient devenir prêtres.
    Et ça, c’est certainement pour ces hommes, la pire chose qui pourrait leur arriver.
    Comme s’ils se sentaient dépossédés de Dieu lui-même…d’une certaine façon.

    Beaucoup vivent la prêtrise comme le dernier bastion du patriarcat. Le pouvoir des hommes qui a tant d’importance à leurs yeux. Peu importe ce qu’ils en font. C’est juste de le détenir ou de penser le détenir qui les intéresse. C’est sur cette exclusivité qu’est construite l’institution.

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  2. Merci Françoise pour ta réaction/réflexion. Beaucoup d’hypocrisie du côté de l’église et de souffrances inutiles pour celles et ceux qui enfreignent le dogme et la morale catholiques…

    Une imposture morale, intellectuelle et politique (Yvon Quiniou) !

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