Il était un œil mauvais

Il était un œil mauvais

« Il faut parfois toute une existence pour parcourir le chemin qui mène de la peur et l’angoisse au consentement à soi-même. À l’adhésion à la vie. »

Charles Juliet, Dans la lumière des saisons

Je sens cet œil plus ou moins pesant. Il vient, il passe ou reste. Un instant, une éternité. Cet œil intérieur qui me juge. Il me dit que je ne vaux rien, que je suis un raté, que le bonheur n’est pas fait pour moi. Il me jauge, m’enchaîne, me tourmente. C’est un œil mauvais, acariâtre, pervers. Il détruit ce qu’il touche, il détruit ma vie. Depuis des dizaines d’années qu’il m’habite. Me laisse tantôt exsangue et sans sommeil. Tantôt me laisse seulement un court répit. Il n’est jamais très loin, il se réveille pour un rien, quand bon lui semble.

Mais qui est-il et que fait-il là ? Puis-je lui échapper ou le faire taire ? Je sens bien qu’il empoisonne mon quotidien, chacune de mes relations. J’en ai enfin pris conscience, je vois clair dans son jeu. Cet œil, c’est l’œil maltraitant de mes parents. Les injonctions accumulées jour après jour, nuit après nuit. Je vois sa toile, elle ne m’appartient pas. Il veut me soumettre à sa loi, il refuse que je sois heureux. Il me veut reclus en moi, recroquevillé au fond d’un trou. Il veut me faire peur, me faire croire que je suis fait pour le malheur. Que telle est ma vie. Hier, aujourd’hui et demain.

Je me suis retourné sur le passé, sur mon enfance. Ces instants où je ne suis responsable de rien, ces instants où je subis seulement. Sans comprendre, sans voir clairement. S’installent seulement en moi des peurs et des angoisses. Des fuites et des évitements. Des injonctions secrètes ou violentes. La famille est anxiogène, instable, dangereuse. L’enfant se protège comme il peut, se ferme sur lui, se coupe en deux. Ne plus ressentir, ne plus vivre. Tout cela est confus, tout cela est inconscient. Tout cela est pourtant.

Déterrer la mort, descendre en soi, contraindre l’œil à voir clair. Sortir de la confusion, sortir de soi, sortir de la honte et du déni. Malgré la mémoire qui défaille, malgré la mémoire qui fait mal, malgré la mémoire qui refuse de voir. Le trauma est là, la blessure, l’enfant apeuré. Lui prendre la main, l’autoriser à vivre. Il n’est pour rien, dans cette folie furieuse. Il n’est pour rien dans cette survie. Briser la dépendance affective, ne plus reproduire sans fin les mêmes schémas toxiques, reprendre sa vie en mains.

Mettre ainsi fin aux années de souffrance, aux années de dépendance, aux années d’insomnie. Se relever avec fierté du chemin parcouru, ne plus jamais se dénigrer, ne plus laisser prise aux vilaines toxines. Se détacher des maltraitances subies, se détacher des parents, ne plus rien en attendre non plus. Faire enfin sa vie, l’aimer à bras le corps, serrer dans ses bras l’enfant au fond de soi. Faire le deuil de cette vie qui ne reviendra pas, de ses parents idéaux, de cette enfance à jamais perdue.

Peu à peu, je regarde la vie d’un autre œil. Je me détache du rivage. J’ouvre les bras et le monde s’offre à moi. C’est la vie qui prend corps, le lien qui se tisse à nouveau. Les amis qui me font et me donnent confiance. L’œil n’a plus le pouvoir de me faire taire, de me détruire, de me rendre éternellement coupable de rien. L’œil mauvais se clarifie, l’œil mauvais devient bon, l’œil mauvais s’éloigne…

Pascal HUBERT

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3 réponses sur « Il était un œil mauvais »

  1. Passant du royaume des ténèbres à la lumière de surface, j’ai en vu les promesses de rivages sous-riants,
    pourtant je comprends que je dois prolonger mes efforts aussi dantesquement féroces que dans les moments du pire obscurantisme.

    Et, néanmoins, je peux témoigner que des êtres vivants amenés à l’état d’épaves impuissantes, dans d’innommables souffrances, peuvent devenir pour d’autres êtres anéantis, des refuges.

    Ne me demandez pas comment mais j’ai compris qu’on peut donner ce qu’on n’a pas ou ce qu’on n’a jamais reçu

    et qu’il s’agit d’une manière toute aussi valable de participer à la Vie ou tout au moins de la protéger, ce qui n’est pas plus mal, déjà, pour prendre part à son gigantesque miracle,

    à sa merveilleuse force qui nous assujettit dans ses soubresauts et ses crises,

    toutes et tous, enfants, femmes et hommes dans nos orgueils, ambitions et cécités absurdes, dans nos désirs d’aimer, de créer et d’être aimés ou admirés ou reconnus ou plus modestement et justement, seulement respectés pour ce que nous sommes :

    des êtres de vie, des objets de la Vie qui est en nous, comme en toutes choses, et à laquelle nous appartenons , toutes et tous, jusqu’au moindre bout d’ongle ou de chair.

    « Biographie de Gumersindo Garcia » (Victor Khagan)

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  2. Cet oeil mauvais, c’est peut-être ton égo qui te déprécie et prend le relais de celles et ceux qui durant ton enfance t’ont appris à te déconsidérer à tel point qu’au bout d’un moment, tu n’as plus eu besoin d’eux pour te dévaloriser toi-même.
    J’ai subi cela aussi et c’est difficile de s’en détacher. Parce que ça correspond à toute une construction éducative à la base et c’est lié aussi au manque d’amour, aux relations toxiques du passé et à une certaine dépendance affective aussi d’avec un univers maltraitant affectivement.
    Se rajoutent les 8 marques de dépréciation journalière que chaque humain subit du monde extérieur et qui rajoutent du stress et du manque de confiance, et hop, tu te retrouves handicapé de toi-même et participant toi-même à ce handicap comme si tu étais indigne de vivre, d’aimer, d’agir, de penser hors de ce que les autres attendent de toi. Tu as une sorte de chantage dont tu prends conscience à un moment donné, que si tu n’agis pas, ne pense pas comme ceux dont tu dépends affectivement, matériellement, tu te retrouveras abandonné complètement et rejeté. Tu comprends donc surtout durant l’enfance qu’il y a un risque vital à penser, sentir, agir différemment. Et c’est ce qui enterre la partie vive et sensible de toi-même. Que tu peux retrouver et déterrer et légitimer à nouveau quand tu prends conscience de tout ça en thérapie.
    Tu prends conscience que ton enfant intérieur n’a pas été protégé ni considéré comme il aurait dû l’être mais que tu es en capacité en tant qu’adulte, en lui redonnant sa place d’enfant, de pouvoir l’aimer et le rassurer à sa juste mesure. Autrefois, c’est cet enfant qui te gouvernait par l’égo en te disant: attention, limite qui tu es et ce que tu es pour plaire et mériter l’amour et l’attention des autres. Et c’est ce qui te mettait si mal parce que ça t’obligeait à te piétiner complètement. Mais par peur de perdre amour et considération, tu obéissais. Ce qui renforçait la peur, le mal-être, etc.
    Le fait de dire à l’enfant que tu as été que tu l’aimes, que tu vas lui redonner sa place, l’apaise et t’apaise, te permet de sortir des logiques de peur. Et du coup de sortir des schémas réflexes destructeurs. Cela libère ton regard sur toi et sur le monde. Et du coup, tout va mieux.
    C’est un effet de vases communicants.
    L’humain est bien fichu mine de rien, quand on s’intéresse à comment nous réagissons.
    C’est pourquoi chacun est en capacité à se réparer une fois qu’il ou elle a compris son fonctionnement et a osé s’y intéresser.

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