« De la prêtrise à l’abandon des doctrines. » Roger Sougnez

 

De la prêtrise à l’abandon des doctrines

 

« Mon livre va à contre-courant de la mentalité croyante ambiante, car il témoigne de mon abandon de l’Église Catholique et de mon cheminement vers l’incroyance religieuse avec sa justification. »

Roger Sougnez

 

Je lis en ce moment De la prêtrise à l’abandon des doctrines [1]. Un livre de déconditionnement salutaire, de Roger Sougnez. S’il n’a pas la forme du pamphlet, il n’en conserve pas moins le tranchant de l’épée. Venant d’un prêtre qui a quitté le sacerdoce en 1987, âgé aujourd’hui de 90 ans, c’est chose suffisamment rare et précieuse pour s’y arrêter un instant. En d’autres temps, à n’en pas douter, pareille audace aurait valu à son auteur la mise à l’Index et les bûchers de l’Inquisition. Mais, au XXIe siècle, comment croire encore à tant d’inepties religieuses ?

Ce livre, sans langue de bois et d’une parfaite cohérence, sera incontestablement apprécié des croyants qui sont mal à l’aise dans leur foi du fait des dogmes et des enseignements du Magistère qu’ils ressentent de plus en plus comme d’un autre temps. Disons-le sans détour : arguments à l’appui, ils seront confortés à les abandonner purement et simplement et à se faire enfin confiance. À l’inverse, ce livre sera honni par celles et ceux qui s’en tiennent encore à la Bible et à la Tradition comme « Parole de Dieu » donnée et interprétée infailliblement par la seule « Église une, sainte, catholique et apostolique ». Comment s’en étonner d’ailleurs ? Toute remise en question du Magistère a toujours été clivante (la « crise moderniste » est lourde d’enseignements à cet égard) : elle en libérera certains d’un joug devenu insupportable, en insécurisera d’autres qui pensaient vivre de certitudes et ne plus avoir à chercher ni à douter. Parce qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, de proposer quelques réformes d’ordre pastorales, mais bien de saper l’autorité de l’Église Catholique comme étant définitivement inapte à guider – et à fortiori, à « sauver » ! – l’humanité. Jugez-en plutôt : exit le péché originel, clef de voûte de tout l’édifice religieux ; exit les dogmes aussi fondamentaux que la divinité de Jésus, la Trinité, Marie vierge et mère de Dieu, l’Enfer et la Résurrection ; exit les sacrements ; exit encore l’historicité de la Bible et de ses miracles, exit enfin le monumental catéchisme de l’Église catholique, promulgué par le pape Jean-Paul II en 1992 et qui s’avère totalement anachronique et non crédible…

Reprenant les mots d’Albert Einstein, la pensée de Roger Sougnez pourrait se résumer ainsi : « Le mot Dieu n’est pour moi rien de plus que l’expérience et le produit des faiblesses humaines, la Bible un recueil de légendes, certes honorables, mais primitives qui sont néanmoins assez puériles. Aucune interprétation, aussi subtile soit-elle ne peut selon moi changer cela. »

Mais, cela dit, vous ne trouverez aucune rancœur ni règlement de compte dans le propos. Roger Sougnez, désormais athée tranquille, s’est laissé guider par le seul souci de vérité, de fidélité à soi et d’honnêteté à l’égard de ses anciens paroissiens et étudiants qu’il regrette d’avoir involontairement induits en erreur. Ses propos sont, en effet, le fruit d’un long cheminement et de recherches rigoureuses qui l’ont amené à ne plus enseigner ce qu’il percevait peu à peu comme des chimères. Évoquant Albert Jacquard, éminent généticien et biologiste, il estime qu’ « il n’y a rien de pire que de ne pas s’autoriser à dire ce que l’on pense vraiment ». Et cette réalité vaut évidemment pour tant d’autres dans l’Église qui ne partagent plus les enseignements du Magistère, mais n’osent pas encore le dire, par crainte d’ébranler la foi des croyants, par obéissance à l’Institution ou par manque de courage. Exception faite de quelques-uns cités par Roger Sougnez, dont Jacques Musset (qui préface le livre), Gérard Fourez, Jean Kamp, Roger Lenaers ou encore Lytta Basset.

La question légitime que l’on se pose inévitablement face à pareil « retournement » : mais que reste-t-il de vrai alors ? Sur quoi ou sur qui encore s’appuyer ? Roger Sougnez croit en l’historicité de l’homme Jésus, un homme exceptionnel, mais qui, lui aussi, fut soumis à son temps et dont, en définitive, nous savons bien peu de choses. Ainsi, reprenant les propos de Gérard Mordillat : « Personne ne peut affirmer avec exactitude où les évangiles ont été écrits. Ni quand ni par qui ni pour qui ni contre qui. [2] » Tout au plus peut-on considérer que « son message [de Jésus] et sa vie d’ouverture, de vérité, de paix et d’amour, dénonçant mauvaise foi, hypocrisie et suffisance ont permis à l’humanité de connaitre un progrès substantiel ». Mais, Roger Sougnez de nous mettre en garde : « Remarquons que deux dangers guettent celui qui a le souci de prendre Jésus comme modèle. Premièrement, le monde actuel est tellement différent, qu’il faut une grande prudence dans cette imitation. Ce qui était excellent à une certaine époque peut être contre-indiqué à une autre. Deuxièmement, l’important pour un être humain n’est pas d’imiter un autre, mais de découvrir son projet personnel de vie où il pourra développer au mieux ses propres potentialités. » Ce point me paraît fondamental : il ne s’agit plus de vivre sa vie par procuration, mais d’oser enfin la vivre pleinement par soi-même. C’est là une révolution copernicienne, un changement de paradigme, une véritable entreprise de libération intérieure. En conclusion du chapitre sur « La morale », Roger Sougnez entend d’ailleurs rencontrer l’objection selon laquelle son livre aboutirait à ôter tout « sens à la vie ». « Bien au contraire ! », affirme-t-il. « Ne plus adhérer à la morale catholique traditionnelle, dont beaucoup de points ne sont plus pertinents, ne signifie nullement vivre sans morale ! Ce serait ignorer la multitude des humains et singulièrement les athées et les agnostiques, qui ont choisi de vivre leur engagement autrement en osant le libre examen. Nous devrions nous efforcer de déployer notre énergie afin de promouvoir des valeurs, qu’elles soient individuelles et sociétales, authentiques même si elles sont exigeantes, qui donneront sens à notre existence : davantage de vérité, de justice, d’honnêteté, de souci de l’autre, etc. C’est là un programme exaltant. »

Nous le voyons, pareille prétention est à mille lieues du discours ecclésial qui entend soumettre la vie de tout croyant à la « Parole de Dieu » et à la « Sainte Tradition » comme seules « Vérité » de nature à nous conduire au Salut… Et comment ne pas s’apercevoir que la peur de l’enfer et la culpabilité de vivre sa vie auront permis à l’Église de maintenir leurs ouailles sous l’emprise de ses enseignements, y compris ceux que les sciences ont démentis depuis longtemps (à commencer par la Création de l’univers et de l’être humain, selon le livre de la Genèse…). Un livre de déconstruction méthodique donc, aux accents nietzschéens – « Et pourquoi n’irais-je pas jusqu’au bout ? J’aime à faire table rase » –, qui ravira les plus audacieux. Mais Roger Sougnez le sait parfaitement : malgré toutes les bonnes raisons d’abandonner des croyances illusoires, elles n’en restent pas moins profondément ancrées au point où les remettre en question peut se révéler impossible pour nombre de croyants.

Un livre captivant, à lire lentement, à méditer, à laisser descendre au fond de soi et à reprendre encore, tant nous avons été bercés par de douces illusions et tant les sujets révisés sont nombreux : la Révélation, quelques grands dogmes, les sacrements, la morale, l’élaboration du catholicisme, la religion, sans oublier le parcours lent et lucide qui amènera peu à peu Roger Sougnez à l’incroyance, ainsi que les raisons impérieuses d’un tel travail. Un livre qui fait du bien, mais qui invite à un décapage radical. C’est précisément, on l’aura compris, ce qui fait de ce livre un grand livre qui vient combler un vide « en passant au crible les positions fondamentales du catholicisme pour en dénoncer l’inconsistance ». Au fond, s’il fallait une justification à ce livre et une excellente raison de le lire, ce serait celle-ci : « Il n’est pas éthiquement défendable de dissimuler des faits pour la seule raison qu’ils pourraient entrer en conflit avec des croyances auxquelles on est attaché. Qui plus est, c’est une insulte à l’égard de nos semblables, qui sont ainsi traités comme des enfants trop immatures pour regarder la vérité en face[3] »

Le témoignage de Roger Sougnez me fait songer au Testament de Jean Meslier, autre prêtre devenu athée, qui au XVIIIe siècle déjà osait affirmer : « Pesez bien les raisons qu’il y a de croire ou de ne pas croire, ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige si absolument de croire. Je m’assure que si vous suivez bien les lumières naturelles de votre esprit, vous verrez au moins aussi bien, et aussi certainement que moi, que toutes les religions du monde ne sont que des inventions humaines, et que tout ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige de croire, comme surnaturel et divin, n’est dans le fond qu’erreur, que mensonge, qu’illusion et imposture. [4] »

C’est précisément ce que refuse l’Église Catholique et que Roger Sougnez – avec quelques rares pionniers qu’il faut espérer de plus en plus nombreux – nous propose d’oser enfin : l’abandon des doctrines.

Et le livre de se refermer sur une urgence à vivre : « Il nous appartient d’inventer notre propre parcours de vie, avec lucidité sur nous-mêmes et sur nos croyances et avec empathie pour les humains, sans nous laisser enfermer dans d’anciens canevas de pensée. La vie est si précieuse et si courte, veillons à ne pas la gâcher. »

Pascal HUBERT, Golias Hebdo, n° 533

 

Le prêtre qui ne croyait plus en Dieu, a été EUTHANASIÉ le 27/11/19
 
Roger Sougnez, un ancien prêtre, s’est fait euthanasier à l’âge de 92 ans: nous l’avons rencontré la veille de sa mort

 

[1] Roger SOUGNEZ, De la prêtrise à l’abandon des doctrines, Golias, avril 2018, 234 pages. Voy. « Roger Sougnez : le long cheminement d’un prêtre libre », propos recueillis par Jacques MUSSET, Golias Hebdo, n° 527, p. 18.

[2] Gérard MORDILLAT et Jérôme PRIEUR, Jésus contre Jésus, Paris, Le Seuil, 1999, p. 12.

[3] Christian DE DUVE, À l’écoute du vivant, Odile Jacob, 2002, p. 348.

[4] Jean MESLIER, Testament de Jean Meslier, Hachette, 2012 ; voy. également : Pascal HUBERT, « Église et sexualité ou le mythe de la pureté », Golias Mag, n° 176, p. 42.

 

       « Le monothéisme est la pire chose qui soit arrivée à l’humanité »

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4 réponses sur « « De la prêtrise à l’abandon des doctrines. » Roger Sougnez »

  1. Je connais Roger depuis 45 ans, je l’ai entendu comme professeur d’école normale. Ceux qui savaient lire entre les lignes comprenaient déjà sa pensée contestataire et sa lente évolution. Quelques-uns, comme moi, devenaient ainsi des confidents. J’ai gardé le contact jusqu’à aujourd’hui et ai eu la primeur de ses premières épreuves pour lui donner un avis. Athée convaincu depuis l’âge de 25 ans, issu comme lui, d’un milieu quasi intégriste, j’ai évolué durant toute ma carrière dans l’école catholique totalement libre de mes convictions non tues. L’essentiel, dans le milieu très pauvre dans lequel j’évoluais, était la qualité de ma relation pédagogique. Je pense que la hiérarchie catholique est totalement dépassée, qu’elle n’a rien à opposer à l’indifférence générale qui gagne nos sociétés par rapport à ces endoctrinements bientôt dépassés. Le livre de Roger arrive peut-être un peu tard pour être utile pleinement. Au moins a-t-il le courage de clore sa vie pour une œuvre de vérité.

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