Marcher jusqu’au soir
« Je me demande parfois quelles traces ont pu laisser en moi ces dix-neuf années passées auprès d’un père parano. Je me demande par ex. si je n’ai pas tendance à m’exagérer certaines peurs, comme en ce moment même où je me suis réfugiée dans les toilettes d’un musée pour m’être simplement heurtée à deux figures à tête de mort. Je me demande aussi si ma terreur du noir dont je souffre encore à mon âge ne procède pas de la peur qu’enfant il me faisait. »
C’est en regardant en replay la Grande Librairie du 24 avril 2019 que je découvre le dernier livre de Lydie Salvayre : Marcher jusqu’au soir (un ver de Baudelaire). Elle y raconte sa nuit entière, passée seule sur un lit de camp au Musée Picasso, où se donnait alors l’exposition Picasso-Giacometti.
L’homme qui marche, bien que courbé par les épreuves, reste debout
Je suis intrigué. Il est question de L’homme qui marche, du sculpteur Giacometti. Cette oeuvre même que j’ai choisie comme photo de profil pour mon blog. Cet homme qui s’allège peu à peu, à mesure qu’il se dirige vers sa mort. Cet homme fragile de l’extérieur, mais que les épreuves ont rendu incomparablement humble, dénudé, devenant peu à peu lui-même. « Deviens ce que tu es », disait de son côté Pindare. « L’œil se scrute », dit Juliet. Toujours cette idée de connaissance de soi, de dépossession, de mutation, de source enfuie à découvrir.
Et puis, Lydie Salvayre raconte que la sculpture de Giacometti l’a soudain renvoyée à son enfance, à ce père qu’elle avait jusqu’à présent occulté de tous ses livres. Par incapacité d’en parler, de mettre des mots. Un père parano, violent, qui lui faisait peur. Voilà encore un point commun avec ma propre histoire, me dis-je. « Presque le temps d’une vie pour regarder sa vie en face », écrit-elle. Je la crois sans peine, moi qui écrivais la veille : « Tout découle de l’enfance. Pour le meilleur et pour le pire » ou « Pour se connaître, retourner à l’enfance. Pour la comprendre, regarder ses parents. Là se trouve la clef de la renaissance, pour qui a connu l’effondrement ».
Tout en nous est inextricablement lié. Après, chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a reçu ou non. La grandeur et le tragique de l’existence sont là. Et, par delà, comprendre que « la présence de la mort vous fait mesurer combien la vie est précieuse » (Salvayre). Précieuse, malgré tout. Même si, parfois, c’est dur à soutenir.
Giacometti, je l’ai découvert grâce au livre de Charles Juliet, du nom de l’artiste « aux prises avec les difficultés de la création ». « Bien que tragique, sa vision de l’homme n’a rien de désespéré. Ses portraits aux regards effarés et qui interrogent, ses sculptures filiformes expriment certes notre solitude, la douleur d’être, la précarité de notre condition, mais ils affirment aussi avec autorité que la vie est finalement plus forte que tout ce qui la ronge et cherche à l’abattre. »
Marcher jusqu’au soir
Tout cela résume si bien ma vie et sa précarité, ce que j’en ai un peu compris et ce que je tente, par ce blog, d’écrire tant bien que mal, découverte après découverte. Moi aussi, je tâcherai de marcher jusqu’au soir.
Pascal HUBERT
Charline Vanhoenacker et Juliette Arnaud reçoivent Lydie Salvayre
: ici
Dans les pas de Giacometti (France Culture, 31/05/19) :
Avec Lydie Salvayre pour Marcher jusqu’au soir (Stock, 2019) et Charles Juliet pour Giacometti (P.O.L., 2019) et Le déclic (Guêpines éditions, 2019).
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